LES BIENFAITS DE LA
COLONISATION FRANÇAISE
DANS LE MONDE, DANS L'OCÉAN INDIEN ET À MAYOTTE
par Jean-François Reverzy, docteur
en psychiatrie (La Réunion)
Le Seigneur rend
justice aux opprimés,
Il donne aux affamés le pain,
Le Seigneur libère les enchainés ...
Il redresse les courbés,
Le Seigneur aime l'étranger
Psaume 145
J'ai été jusqu'ici
réservé sur ce débat déjà
ancien et cela pour deux raisons. La première tient à
ce que bien des prises de positions qui ont surgi émanent
de personnes appartennant à la nomenklatura dom-tomienne.
Ces élus, ces historiens, ces acteurs culturels ont souvent
émargé ou émargent toujours aux bénéfices
du système colonial et néo-colonial. Ce sont d'abord
des Parisiens vivant dans le sixième ou le huitième
arrondissement de Paris, familiers des coulisses du pouvoir et
dont les discours s'inscrivent, une fois de plus, dans ce mauvais
jeu de rôle franco-domien qui maintient en place précisément
le pseudo-colonialisme actuel. Le ministère des DOM-TOM
— ancien ministère des colonies — n'est pas
en fait un ministère mais plutôt l'ambassade des
Antilles françaises à Paris.
La seconde raison est différente :
j'ai souvent rencontré d'autres personnes, anciens administrateurs,
médecins, enseignants et missionnaires, militaires et
officiers, colons ; je connais leur intégrité
et leur dévouement. Ces hommes et ces femmes ont consacré
leur vie à l'Afrique, à l'Afrique du Nord, à
l'Indochine, à l'océan Indien, à Madagascar.
Raymond Vergés, l'un des pères de la départementalisation
de La Réunion et fondateur du PC réunionnais dont
j'ai publié le roman « Boscot sous-officier
et assassin ? » 1 témoigne
de cette même expérience en Indochine. Dussac et
Vittori, fondateurs du parti communiste malgache étaient
des fonctionnaires coloniaux qui furent les premiers à
crier « Indépendance pour Madagascar ».
Je comprends que certains aient voulu honorer cette mémoire
globalement. Le faire dans un alinéa d'article de loi
était en soi une erreur malheureuse. Mais, qu'on le veuille
ou non, les manuels scolaires ne seront jamais neutres ...
J'ai moi aussi appris à l'école primaire et secondaire,
dans les années 50, que la France s'étendait de
Dunkerque à Tamanrasset, de Dakar à Abidjan, en
Indochine et dans le Pacifique. Un espace, immense et illusoire,
s'ouvrait à l'imagination et nous aimions ces histoires
où les enfants de France et du bout du monde se retrouvaient
dans le même partage, la même fraternité :
celle de la mythique Union française. Le livre de la décolonisation
serait quant à lui si on l'écrivait, un livre noir,
suintant du sang des guerres et des massacres, des dictatures,
de générations entières broyées et
détruites, tout autant que celui de la colonisation. Nous
n'en sommes pas encore sortis ...
J'ajouterais en complément
d'information à un article de « Témoignages »
paru [à La Réunion début janvier 2006] que
je connais bien l'école d'Alger, dont on aime citer après
Franz Fanon les publications choquantes sur la dégénérescence
des cerveaux indigènes. J'ai découvert la psychiatrie
de 1970 à 1973 dans le service de Maurice Porot, au CHU
de Clermont-Ferrand. Maurice Porot était un mandarin en
exil, fils dynastique de son père, Antoine, fondateur
de l'école d'Alger. Si Antoine a commis en effet les études
que l'on connaît — et il ne fut pas le seul —
on ne saurait s'arrêter là. Le paradoxe est bien
qu'il fut aussi, en ce début du XXe siècle, âge
obscur pour notre discipline, le pionnier à Tunis des
services d'hospitalisation libre soit non régie par la
loi de 1838 sur l'internement. Il était le seul à
l'époque, avec son collègue — bien différent
— Edouard Toulouse, élu radical, franc-maçon,
notable, à l'hôpital Saint Anne à Paris.
Il me semble surtout qu'il faut
envisager le problème autrement. Regardons plutôt
aujourd'hui quels sont les pays du Monde qui n'ont pas subi en
profondeur l'entreprise coloniale européenne : je
n'en vois que trois, le Japon, la Chine et l'Inde qui, bien que
colonisée (la colonisation lui a donné son unité),
a su résister et sauvegarder sa culture. On pourrait y
ajouter dans une moindre mesure de petits royaumes préservés
ou des zones de colonisation tardive : Ethiopie, Iran, émirats,
dans un Moyen-Orient dominé par l'ex-empire turc. Chine,
Japon et Inde ont préservé leur âme et se
retrouvent en tête du leadership mondial. Ce seront les
superpuissances de demain. Imaginons alors ce que serait la planète
si l'Amérique, l'Afrique, l'Asie et le Pacifique n'avaient
pas été colonisés, avaient sauvegardé,
enrichi et fait fructifier leurs cultures millénaires
et leurs richesses humaines, culturelles et scientifiques. La
sagesse amérindienne et la civilisation précolombienne,
les Sarawak, les grands empires du Sahel ou d'Afrique australe,
Madagascar, les mondes maori, mélanésien, malais
et austronésien parmi d'autres ...
Le pape Jean Paul II
aurait confié à un ministre français, lors
d'une audience, que le défaut répétitif
de la France était son attachement aux attitudes coloniales.
Le complexe colonial est inscrit dans l'inconscient collectif
et transhistorique national. Colonisations et décolonisations
en France furent sans aucun doute des ratures humaines, économiques,
culturelles. Elles furent souvent par intention ou par défaut,
criminelles. L'esclavage et son traumatisme est là devant
nous, mais aussi la suite : les guerres de conquête,
les guerres coloniales, les réseaux de « coopération »
française mis en place par Foccart puis Jean-Christophe
Mitterrand qui ont soutenu une galerie de prédateurs et
d'esclavagistes, les Bokassa, Sekou Touré, Houphouët-Boigny,
Ratsiraka et tant d'autres L'identité française
et blanche a besoin de ce tiers, venu du dehors, nègre,
créole, arabe ou asiatique, ou du dedans, breton, basque
ou occitan, qu'elle désubjective, dévalorise, met
sous elle, assujettit et asservit. De cet autre qu'elle domine
en cultivant l'illusion pater- ou maternaliste de ses supposés
et ostensibles bienfaits : Banania, Bécassine et
Babar font partie du folklore enfantin franco-belge Elle
a aussi besoin de mauvais objets à transformer en déchets
humains à enfermer ou à exterminer : cathares
et hérétiques, sorcières, juifs, fous et
déviants, enfants inadaptés et en danger que l'on
envoie dans la Creuse ou dans des « colonies familiales ».
La bourgeoisie française et européenne aime à
se contempler dans ce miroir inversé comme sujet souverain
en son contraire. Elle a aussi besoin de ces espaces territoriaux
insulaires et lointains où l'on peut projeter son avenir,
partir et se refaire, dans un nouveau monde, pour le bien des
peuples ou pour son profit. Ce complexe serait-il devenu, au
fil des siècles, indispensable à la survie de l'identité
française ? La lepénisation actuelle des Français,
le clivage entre le bastion des bien pensants et les ghettos
des banlieues semblerait le confirmer. N'oublions pas aussi que
le complexe colonial comme celui de l'esclavage a besoin d'un
autre, le colonisé, l'esclave. Il ne se joue pas tant
dans l'économique que dans l'espace psychique et dans
la relation vivante à l'autre qui fonde le lien social.
Mayotte la dernière colonie ...
La France est la dernière
nation européenne à maintenir en son sein, au titre
de l'intégration, les cailloux d'un empire défunt
dans le Pacifique, l'océan Indien et les Caraïbes
avec leurs règles d'exception. Fille aînée
de l'église elle a aimé égrener ce chapelet
de comptoirs. Marianne républicaine elle se complait à
se parer de ce collier de départements et de collectivités
territoriales. Elle colonise encore, comme l'illustre l'aventure
singulière de Mayotte. Cette prise de possession repose
sur une suite de passages à l'acte et de mauvais coup
géopolitiques et électoraux fomentés par
Pierre Pujo le royaliste collabo, Giscard et Chirac. Observons
au jour le jour les effets de ce dernier miracle français
et néo-colonial : la coupure d'une communauté
insulaire de son archipel culturel et familial, la division entrainant
la production d'un racisme interne et d'un racisme externe — qui
se développe dans les diasporas souvent objets de rejet :
une situation à la rwandaise somme toute — et la
France est, là aussi, montrée du doigt dans ce
génocide. Elle a introduit massivement dans une petite
île la culture de la consommation avec ses fléaux
d'alcoolisme, de toxicomanie et de violence. La « croissance »
a entraîné le bétonnage de l'île qui
ne fait que commencer, détruit le lagon et désertifie
la forêt. La néo-colonisation a entraîné
l'afflux massif de fonctionnaires et d'entrepreneurs européens
et la création d'une classe moyenne mahoraise qui s'identifie
à la précédente. Elle a provoqué
par la domination, l'acculturation et la dépendance-assistance
de l'Etat. RMI et AAH sont devenus des objets sacralisés,
idéaux que l'on ne gagnera qu'à La Réunion
ou en métropole. Certes il faut évoquer la dimension
créative : le développement humain d'une petite
Île de l'archipel des Comores qui va être dotée
de structures sanitaires, éducatives et administratives
performantes offrant à ses citoyens, enfants et aux jeunes
en particulier, un destin bien différent de celui de leurs
proches cousins des Comores ou de Madagascar.
Mais n'y a-t'il déjà
pas une cruauté monstrueuse dans cette création
volontaire ou inconsciente d'inégalités dans un
même famille ? Déni ? Perversion ?
Serait-ce là, l'oeuvre d'une France généreuse,
humaniste, philanthrope, héritière des vieilles
monarchies de Clovis à Louis XVI, et de la république ?
J'aimerais le penser et j'en serais alors fier, mais j'en doute.
Aucun de ces idéaux ne se sont affichés, mais de
toute évidence la recherche de bénéfices
immédiats et nul n'a applaudi, ni les responsables de
l'état, ni les préfets, ni les élus mahorais ...
La règle du marché et du commerce dans les pays
dits émergents pour les investisseurs est celle des profits
à court terme ...
L'un des propres du Complexe
colonial est de prétendre mener les peuples asservis
au bonheur, en produisant dans le réel les effets inverses.
Beaucoup d'ONG fonctionnent avec la même logique. De plus,
la néo-colonisation impose ici avec cynisme ses paradoxes.
L'apparition d'une immigration dite clandestine venue des Comores
et de Madagascar à la recherche de ce nouvel Eldorado
était d'autant plus prévisible que ces îles
sont unies par leurs liens culturels et familiaux ancestraux.
L'immigration comorienne a déjà ses boat people,
ses kwassa et ses centaines ou milliers de disparus non
répertoriés (génocide indirect ?),
ses nouveaux esclaves débarqués dans la nuit et
travaillant pour un salaire de misère, ses pogroms comme
à Mahabo, ses filières obscures, de Mayotte à
La Réunion, de La Réunion à la France. La
honte de la République titre Kashkazi « journal
des quatre îles de la lune », rapportant
des témoignages insupportables : rafles, déportations
d'enfants séparés de leurs parents, etc ...
L'hôpital de Mamoudzou
et les centres de santé flambants neufs — maternités
et dispensaires — fleuron chéri de la région
sanitaire, a certes accompli un effort remarquable. Ses acteurs
médicaux, et paramédicaux ou administratifs se
sont investis à fond dans cette aventure. C'est là
un effet positif du complexe colonial : dans un monde hexagonal
étouffant et gris, offrir à des volontaires un
ailleurs, un terrain d'aventure créative. Il n'est pas
sûr pourtant que les choix aient été les
bons, soit de projeter ici des modèles sanitaires européens
standardisés. Mais surtout les acteurs de santé
seraient-ils contraints par le pouvoir de l'Etat français
à des injonctions contraires à l'éthique
de leur profession et, suivant l'adage à « se
foutre de la charité » ? On applique ici
la logique d'accès aux soins imposés par le FMI
et la Banque Mondiale aux pays les plus pauvres du monde, comme
Madagascar ou les Comores : pas d'argent, pas de soins ! ...
Les soins, même en urgence, ne sont plus accessibles qu'aux
personnes en situation dite régulière ou gageant
la somme de 30 euros en dépôt dans le cas inverse.
Il n'existerait plus de réelle accessibilité aux
soins pour tous et en particulier pour les sans-papiers. Ce principe
sacré de l'éthique médicale et hospitalière
serait en péril. Non-assistance à personnes en
danger ? Sélection ? Ce terme renvoie au monde
des camps de concentration : d'un coté ceux que l'on
laisse survivre car ils peuvent travailler, de l'autre ceux que
l'on extermine ... Droits des enfants bafoués ?
Selon le témoignage d'une pédiatre hospitalier,
lors de Journées d'éthique des soins tenues le
6 janvier à Mamoudzou, on mourrait aux portes de l'hôpital
et des enfants seraient décédés en raison
de cette ségrégation ; le krashiowkor et les
pathologies de malnutrition seraient en progression importante ;
certains parents, pour collecter ces trente euros obligatoires,
rationneraient en effet la nourriture quotidienne de leurs enfants.
Solution ? Pour citer un exemple du Nord, mon collègue
et ami, George Federman, psychiatre libéral à Strasbourg,
a eu le mérite de créer depuis plusieurs années
un réseau indépendant de soins pour les sans-papiers,
Roms et clandestins de l'Est, du Moyen-Orient ou d'Afrique séjournant
dans cette ville frontalière. Ce réseau soigne
gratuitement et sans aucune contrepartie des personnes demandeuses
de soins. Ce modèle est un exemple car il repose sur le
bénévolat et il est indépendant des pouvoirs
d'Etat. C'est une telle expérience qu'il faudrait donc
mettre en place à Mayotte si de bonnes volontés
se dégageaient. Quel paradoxe ! Dans l'île
modèle ou vitrine du développement sanitaire français
dans l'océan Indien on devrait, pour assurer l'accès
aux soins pour tous, créer des centres d'accueil et des
missions humanitaires.
Que les citoyens réunionnais
se rassurent : Ils ne seront pas en reste et ils vont bientôt
en être réduits à la même extrémité
par les mesures gouvernementales. Les caillous de l'empire,
avec leurs contradictions, sont transformés en laboratoire
humain et social où s'expériment nouvelles normes
et nouvelle gouvernance : médecin traitant,
forfait hospitalier, déremboursement des médicaments ...
L'accès des Réunionnais aux soins est en péril.
Qu'ils fassent d'ores et déjà des économies
pour payer leurs soins futurs et ceux de leurs enfants dans des
cliniques privées. Surtout s'ils sont infectés
par le chikungugna par défaut d'une prévention
qui est pourtant un devoir de l'Etat.
Au-delà de l'océan
Indien, c'est toute la classe politique et administrative et
celle des ministres et autres grands commis de l'état,
des finances et des grandes entreprises, qu'il faut décoloniser.
Ces décideurs n'hésitent pas cyniquement à
« délocaliser » des entreprises —
ce qui veut dire coloniser le tiers-monde — pour accroître
leur marge de profit et celle des actionnaires ; ce faisant
ils mettent les travailleurs français au chômage.
Pour accroître leurs richesses, ils créent de la
pauvreté. Ceux-là devraient, tous ensemble, se
soumettre à une analyse critique et remettre en question
leurs mentalités, leurs troubles inconscients du jugement
et du comportement, leurs choix et actes contraires aux normes
éthiques et aux droits élémentaires de l'humanité.
Ils devraient ensuite aller s'allonger sur le divan du psychanalyste,
pour tenter de résoudre ce complexe colonial qui
les aliène — complexe qu'Octave Mannoni qualifiait
en 1949 en référence à Shakespeare, de complexe
de Prospero et Caliban 2. C'est une injonction thérapeutique
: parole d'Expert !
Appel à l'Autre France
Il existe une autre France, accouchée
dans la douleur du monde colonial et de l'immigration, une France
venue d'ailleurs, une France qui est la France, une France étrangère
à la France. Une France métisse, pauvre ségréguée,
exclue des richesses. Ses lieux sont ceux de la banlieue, des
DOM-TOM, de la banlieue-monde, de l'ancienne Union française,
d'Europe de l'Est, d'Orient, d'Asie. La France des Créoles,
des Comoriens, des Swahilis et des beurs, la France juive et
la France arabe, la France noire et la France slave, la France
des minorités ethniques franco-françaises :
basques, bretonnes, occitanes, la France de toutes les couleurs.
Elle est un soubassement de l'espace national, mais elle n'a
pas de frontières. Ses citoyens sont les nouveaux prolétaires
de la guerre mondiale des classes. Elle est une métropole,
elle est un patrimoine. Qu'elle se fasse entendre ! dans
l'hexagone et en Europe ! Qu'elle conquière son espace
politique propre, ses juridictions, son autonomie ! Et que
tous ses sujets aient enfin, avec équité, accès
à la santé, à l'éducation, à
la justice. Qu'on fasse péter les frontières !
- Jean-Paul Sker [Raymond Vergès],
« Boscot : sous-off. et ... assassin ? »
préface de François Vergès et postface
de Jean-Claude-Carpanin Marimoutou, Saint Denis (La Réunion) :
Grand océan, 1996
- « Psychologie de
la colonisation », réédité sous
le titre « Le racisme revisité : Madagascar,
1947 » (Paris : Denoël, 1997) : Dans
une île après une tempête, Prospero magicien
tout puissant asservit Caliban, créature inférieure
difforme comme Quasimodo pour le mettre à son service.