Petits contes
du Pacifique / Epeli Hau'ofa ; traduit de l'anglais (Tonga) par
Manuel Benguigui. - La Tour d'Aigues : Ed. de l'Aube, 2006. -
203 p. ; 19 cm. - (Regards croisés).
ISBN 2-7526-0149-2
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Pour
comprendre comment fonctionne Tiko, il faut d'abord découvrir la
voie qu'emprunte le Seigneur puis penser à la direction
opposée. Le Seigneur va dans un sens, suivi par tous les
chrétiens, et Tiko va en sens contraire, toute seule. Ainsi,
puisque le Seigneur travaille six jours et se repose le
Septième, Tiko se repose six jours et travaille le
Septième.
Le Septième jour et les autres, p. 7 |
Les
contes d'Epeli Hau'ofa moquent gentiment les travers des habitants de
l'archipel des Tonga dans le Pacifique, plus généralement
le Pacific Way of Life tel
que se le représente le monde occidentalisé ; il illustre
aussi bien les caractéristiques des sociétés
insulaires telles qu'on les imagine depuis le continent. Capables de
pratiquer l'auto-dérision, certains compatriotes de l'auteur lui
ont pourtant reproché d'avoir dévoilé ces travers hors du
milieu insulaire : « we know and admit our absurdity but we
should not let others know. Outsiders don't understand us and they
would think that we're a bunch of idiots. The feeling is not uncommon
in the Pacific » 1.
Or ce ne sont pas les menus défauts des insulaires qui sont le
plus directement mis en cause dans chacun des douze contes
réunis ici, mais la nature des relations que ces derniers
entretiennent avec les envoyés du reste du monde — la
caricature devient féroce quand sont dépeints les
représentants de la puissance coloniale hier ou, aujourd'hui,
les experts en développement. De la rencontre de deux univers
que tout distingue naît un comique de situation qui gagnerait
à être entendu bien au-delà des rives de l'archipel.
Epeli Hau'ofa
est né en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1939, de parents
missionnaires tongiens. Docteur en anthropologie sociale, il a
été secrétaire particulier du roi de Tonga. Enseignant à l'University of the South Pacific (Suva, Fidji), il y avait créé en 1997 l'Oceania Centre for Arts and Culture. « Petits contes du Pacifique » est son premier livre traduit en français. 1. | Interview d'Epeli Hau'ofa recueillie par Subramani, « South Pacific
literature : from myth to fabulation » (rev. ed.), Suva
(Fidji) : University of the South Pacific, 1992 (p. 191). |
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EXTRAIT |
Prenez
Toa Qase, par exemple, qui était un petit maraîcher et un
modeste mais prospère producteur de bananes avant de se tourner
vers l'élevage industriel de poulets dans le cadre du Projet de
Développement de la Volaille financé par un
département de la Grande Organisation Internationale. Toa
abandonna toute forme d'horticulture, obtint un prêt et
construisit un grand hangar pour abriter six mille poussins
envoyés par avion de Nouvelle-Zélande.
Les poussins devinrent de jolis poulets dodus, et la
notoriété de Toa se répandit. Tout le monde savait
qu'il élevait six mille poulets, et tout le monde voulait les
goûter. Un Tikong bien élevé est
généreux avec sa famille et ses voisins, surtout s'il
possède des biens matériels par milliers. Mais sur les
conseils d'un Expert en Développement qui était un membre
de l'Elite, et un Sage de surcroît, Toa avait
décidé de devenir un Homme d'Affaires Moderne ; il
avait oublié qu'à Tiko, moins on donne, plus on perd, et
que si on ne donne rien, on perd tout. Les poulets de Toa
commencèrent à disparaître, une douzaine la
première nuit, fauchés par ses employés
sous-payés, deux douzaines la deuxième nuit,
fauchés par les mêmes employés sous-payés
accompagnés de leurs amis et ainsi de suite. Le bruit courut que
les poulets de Toa disparaissaient rapidement, alors pourquoi ne pas
aller se servir avant qu'il n'en reste plus ? Tous les gens qui
passaient par hasard près du hangar la nuit
s'approvisionnèrent donc impunément en jolis poulets
dodus avant qu'il n'en reste plus.
Quant à Toa, il abandonna son rêve de devenir un Riche
Homme d'Affaires Moderne, souhaita bon vent à l'Expert en
Développement et alla voir son pasteur pour se faire consoler et
lui demander conseil. Le dit Homme de Dieu prit sa Bible, l'ouvrit
à saint Matthieu et lut : « Ne vous amassez pas
de trésors sur la terre, où la teigne et la rouille
détruisent, et où les voleurs percent et
dérobent ». Oui, se rappela Toa, et il fit le
vœu de ne plus jamais être aussi avide de biens terrestres.
Manu raconte que, depuis ce jour, Toa a consacré tout son temps
à développer pour lui-même d'immenses
trésors au Ciel, où il n'y a ni voleurs ni experts.
☐ La tour de Babel, pp. 61-63 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Tales of the Tikongs », Auckland : Longman Paul, 1983
- « Mekeo :
inequality and ambivalence in a village society »,
Canberra : Australian national university press, 1981
- « Education
for development in the South Pacific » ed. by Madhu G.
Kanbur and Epeli Hau'ofa, Suva (Fiji) : University of the South
Pacific, 1985
- « Kisses
in the nederends », Auckland : Penguin, 1987 ;
« Poutous sur le popotin » trad. par Mireille
Vignol, Papeete : Au Vent des îles, 2012
- « A
new Oceania : rediscovering our sea of islands » ed. by
Eric Waddell, Vijay Naidu and Epeli Hau'ofa, Suva (Fiji) : The
University of the South Pacific, 1993
- « We are the ocean, Selected works », Honolulu : University of Hawai'i press, 2008
- « Notre mer d'îles », Arue (Tahiti) : Pacific islanders éditions, 2013
- « L'océan est en nous », Arue (Tahiti) : Pacific islanders éditions, 2014
- « Un passé à recomposer », Arue (Tahiti) : Pacific islanders éditions, 2015
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mise-à-jour : 30 mai 2016 |
Epeli Hau'Ofa est décédé à Suva (Fidji) le 11 janvier 2009. |
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