Lloyd Jones

Mister Pip

Michel Lafon

Neuilly-sur-Seine, 2008
bibliothèque insulaire
   

Nouvelle-Zélande

parutions 2008

Mister Pip / Lloyd Jones ; traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Valérie Bourgeois. - Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon, 2008. - 257 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-7499-0841-0
Dans un village côtier de l'île de Bougainville dévastée par la guerre 1 et soumise à un blocus rigoureux, M. Watts, le « dernier Blanc sur l'île », s'est décidé à pallier le départ forcé du professeur. Pour meubler le temps, il lit à ses jeunes élèves De grandes espérances, les entraînant à raison d'un chapitre par jour dans l'Angleterre de Dickens. C'est ainsi que Pip, Estella, Miss Havisham ou Joe Gargery entrent dans l'intimité d'une poignée de jeunes Mélanésiens désorientés d'abord et progressivement captivés par l'irruption dans leur quotidien et dans leur imaginaire d'un nouveau monde initialement perçu comme improbable.

De jour en jour le conflit se rapproche et bouscule le beau projet de M. Watts. Tour à tour les belligérants investissent le village où se multiplient mesures d'intimidation puis exactions toujours plus violentes, surtout de la part des troupes gouvernementales et de leurs mercenaires, les « Peaux-Rouges » 2 comme les qualifient les villageois. Lors d'un violent raid de représailles l'unique exemplaire du roman est brûlé et les élèves de M. Watts doivent puiser dans leurs souvenirs pour reconstituer la trame de l'œuvre et ne pas quitter définitivement les nouveaux horizons qu'ils se sont ouverts. Une re-création qui, plus tard, se révèlera précieuse pour distraire l'ardeur vindicative de la faction adverse, les « Rambos », guerilleros insulaires, tous fils, frères ou cousins des villageois, usés par de longs mois de clandestinité 3.

Aux dernières pages du roman de Dickens, quand ses « grandes espérances » apparaissent défintivement ruinées, Pip quitte l'Angleterre pour forcer le destin. De même, quand la folie meurtrière s'est acharnée une nouvelle fois sur son village, Matilda l'une des élèves de M. Watts se risque en mer et réussit à gagner l'Australie d'où, plus tard, elle partira pour Londres afin de consacrer une thèse à l'œuvre de Dickens.
       
1. L'île de Bougainville fait partie géographiquement et culturellement de l'archipel des Salomon ; politiquement c'est une province de la Papouasie Nouvelle-Guinée. De 1988 à 1997, l'île est le théâtre d'un conflit opposant une fraction de la population aux troupes régulières et aux mercenaires du pouvoir central chargés de défendre les intérêts économiques de la gigantesque mine de cuivre de Panguna. Spoliations de terre, déforestation, pollution étaient les principaux reproches à l'encontre des exploitants de la mine ; mais cette dernière assurait plus de 15 % des revenus du gouvernement de la PNG et près de 50 % de ses exportations. La guerre a fait entre 10 000 et 15 000 victimes civiles et des milliers de réfugiés.
2. “ Les soldats (…) avaient l'air lessivés par la terre rouge de notre île, et c'est pourquoi on les surnommait les " Peaux-Rouges ". ” (p. 19)
3. “ (…) cette vie-là les avait transformés. Ils n'avaient plus rien en commun avec nous dorénavant. Cela se voyait à leurs yeux et à la façon dont ils bougeaient la tête. Ils étaient devenus des créatures de la forêt. ” (p. 164)
EXTRAIT L'ennui avec De grandes espérances, c'était qu'il s'agissait d'une conversation à sens unique. Il n'y avait pas moyen de parler aux personnages. Sinon, j'aurais raconté à Pip la visite que nous avait rendue ma mère à l'école, et je lui aurais dit que, à la voir de loin, ne serait-ce que de quelques pupitres, elle m'avait paru différente. Plus hostile.

Quand elle campait sur ses positions, toute sa masse affluait à la surface de son corps, presque comme s'il y avait eu des frottements entre sa peau et l'air. Elle marchait lentement, comme une grand-voile qui résiste aux vents, le visage fermé, ce qui était vraiment dommage car je savais qu'elle avait un sourire magnifique. Certaines nuits, je voyais ses dents briller dans le clair de lune, et je devinais qu'elle se déridait dans le noir. Et je sentais alors qu'elle était entrée dans un autre monde auquel je n'avais pas accès, un monde adulte et, au-delà, un monde secret où elle se connaissait comme personne d'autre ne la connaissait. Un monde où il était impossible de la rejoindre.

Mais à quoi bon expliquer tout cela à Pip ? Il ne m'entendrait pas. Je ne pouvais que le suivre à travers ce pays étrange peuplé de marécages, de pâtés de porc et de gens qui faisaient de longues phrases compliquées. Parfois, nous n'étions pas plus avancés lorsque M. Watts achevait sa lecture parce que nous n'avions rien compris à ce que l'auteur avait voulu dire — et peut-être aussi parce que, à ce stade, les geckos au plafond détournaient trop notre attention. Mais dès que Pip réapparaissait et faisait de nouveau entendre sa voix, nous retrouvions le fil.

À mesure que nous progressions dans le livre, une drôle de chose m'arriva. J'eus l'impression d'entrer dans l'histoire. On ne m'avait pas confié de rôle, je n'étais pas identifiable sur la page, et pourtant j'étais là, bien présente. Je connaissais ce petit orphelin blanc, et la place infime et fragile où il s'étaif faufilé, tiraillé entre son horrible sœur et l'admirable Joe Gargery : c'était le même espace qui séparait M. Watts de ma mère. Et j'avais compris qu'il me faudrait choisir entre l'un et l'autre.

pp. 55-56
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Mister Pip », London : John Murray, 2007
  • « Mister Pip », Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 32039), 2011
Lloyd Jones, sur le site du New Zealand Book Council
  • Charles Dickens, « Great expectations », London : Chapman and Hall, 1861
  • Charles Dickens, « Les grandes espérances » trad. par Charles Bernard-Derosne, Paris : Hachette, 1864
  • Charles Dickens, « De grandes espérances » trad. par Pierre Leyris, Paris : Grasset (Les Cahiers rouges, 145), 1991, 2013
  • Charles Dickens, « Les grandes espérances » trad. de Charles Bernard-Derosne revue par Jean-Pierre Naugrette, Paris : Librairie générale de France (Classiques de poche, 420), 1998, 2015
  • Charles Dickens, « Les grandes espérances » trad. par Sylvère Monod, Paris : Gallimard (Folio classique, 3190), 1999, 2008

mise-à-jour : 29 mai 2017

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