À
l'ouest du monde / Kenneth Steven ; traduit de l'anglais
(Ecosse)
par Françoise Chardonnier. - Paris : Autrement,
2008. -
120 p. ; 22 cm.
ISBN 978-2-7467-1131-0
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… là-bas,
là-bas, au beau milieu de mon enfance.
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p. 8 |
L'archipel
de Saint Kilda se trouve à plus de soixante
kilomètres
à l'ouest des îles Hébrides
extérieures. Un
peuplement est attesté sur Hirta, l'île
principale, depuis
la préhistoire ; au fil des siècles s'y
est
affirmée une société régie
par des usages
sans équivalent ailleurs en Europe : les rares
observateurs
n'ont pas manqué d'y relever une proximité avec
certains
modèles sociaux utopisants en vogue aux XVIIIe
et XIXe
siècles.
Mais au début du XXe
siècle le mode de vie
à Saint Kilda suivait un cours trop
éloigné des
usages prévalant sur le continent, et la
détermination
des habitants à supporter des conditions d'existence d'une
extrême rigueur commençait à
fléchir. En
1930, le gouvernement britannique fit
transférer la population sur la terre ferme, en Ecosse.
Roddy, le narrateur du roman est l'un de ces
exilés. Après un bref séjour sur la
rive orientale du
Sound of Mull, il se rend à Glasgow où, contraint
de
partager l'ordinaire d'une population laborieuse violentée
par
la crise, il se prend à rêver d'une impossible
alternative
nourrie du souvenir de l'eden perdu. Amer constat
formulé au spectacle d'hommes aux visages inexpressifs se
hâtant vers leur travail : “ Je
me demandais
comment ils pouvaient faire ça année
après
année, incapables de casser le rythme et de se demander
pourquoi ”.
Poussé par la montée du chômage, Roddy
émigre aux Etats-Unis. C'est dans
une sinistre maison de retraite, au
terme de sa vie, qu'il entreprend d'écrire ses souvenirs.
S'y
dévoile la portée métaphorique de la
nostalgie insulaire où s'exprime le souvenir de l'enfance
perdue, ses temps de grâce et sa violence — dont
l'ombre
portée aura marqué durablement l'existence de
Roddy.
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EXTRAIT |
Nous
eûmes peu de temps pour les adieux. Nous étions
tous
épuisés, conscients aussi du regard curieux de
ceux qui
nous entouraient, impatients de découvrir les secrets de ce
groupe de personnes évacuées. Je
balançais un
énorme baluchon sur mon dos quand l'uniforme impeccable d'un
officier de la Marine apparut devant moi. Je le regardai avec stupeur,
les yeux emplis de larmes. « Bonne
chance »,
dit-il d'une voix brusque, mais sans hostilité. Je vis aussi
dans son visage, derrière l'assurance militaire, une sorte
de
désarroi, d'embarras sur la façon de s'y prendre
avec
moi. J'étais de son pays, je suppose, mais pas de son monde.
« J'espère que vous vous
intégrerez
vite », ajouta-t-il.
Je n'avais
pas la moindre idée de ce qu'il fallait
répondre, pas la moindre idée non plus de ce
qu'il
attendait de moi. Je restai simplement là
à le
regarder d'un air stupide, puis détournai les yeux. Le temps
de
caler le fardeau sur mon dos, il avait disparu.
Mais ces
paroles restent bien présentes.
« J'espère que vous vous
intégrerez
vite. » Il était
sincère ; je n'en
doutais pas, mais il exprimait inconsciemment les souhaits de ses
supérieurs militaires, ainsi que de son gouvernement,
là-bas à Londres. Car en fin de compte, nous
étions devenus un fardeau pour la Grande-Bretagne. Nous
étions un avant-poste saugrenu et coûteux
à la
bordure extrême des cartes — et le plus
souvent en
dehors de toute carte — et nous avions fait notre
temps.
Nous avons
dû ressembler, ce jour-là, à des gens
qui surgissent du milieu du siècle passé. Sans
doute ne
fallait-il pas s'étonner qu'ils nous dévisagent,
nous et
nos humbles bagages. Nous voulions partir d'ici le plus vite
possible ; nous étions des
réfugiés, sans
dignité, et nous n'aspirions à rien d'autre
qu'à
nous cacher.
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p. 55 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « West
of the world » in A Highland trilogy, Dalkeith :
Scottish cultural press, 2002
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Scottish Poetry Library : Kenneth Steven |
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mise-à-jour : 28
juillet 2008 |

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