Les Mauvais Garçons / Guillermo Rosales ; traduit de l'espagnol (Cuba)
par Claude Bleton. - Arles : Actes sud, 2007. - 123 p. ;
19 cm. - (Textes latino-américains).
ISBN 978-2-7427-7030-4
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NOTE DE L'ÉDITEUR
: Un père cryptostalinien par dépit et violent par
impuissance, une mère épuisée nostalgique de sa
propre jeunesse, une grand-mère en contact direct avec dieu et
toujours « enveloppée de la vapeur de ses
casseroles » … le petit Agar s’accommode
de sa famille en nourrissant des projets de vengeance à long
terme et en entretenant des relations intimes avec ses héros de
western et de dessins animés. Sa vie s’organise autour du
trajet maison-épicerie-maison, magnétisée par les
allées du parc où les Mauvais Garçons commettent
leurs pires forfaits. A défaut d’être tout à
fait des leurs, Agar apprend à recevoir les coups, parce que
souffre-douleur c’est déjà exister.
Crucifier les lézards, brûler des charognes, pisser sur
les bancs, organiser des combats d’araignées et des
concours de branlette, dire des cochonneries, c’est la
fascination d’un bonheur paradoxal qui n’a rien
d’innocent. Dans l’insolence des rires et l’intuition
du pire, « les enfants du Tropique » sont des
« graines de délinquants, cruels et
dégoûtants ». Ils n’ont peur de rien, et
à leurs yeux — plissés comme ceux de John
Wayne au cinéma — tout est (mauvaise) blague, tout
finit en bagarre. Les « Barbudos » sont
passés à l’attaque et Boukharine, le benjamin de la
révolution d’octobre, aura bientôt raison de la
bravoure de Rintintin et des carottes géantes de Bugs Bunny.
Avril 1957, la boussole cubaine commence à perdre son nord
magnétique et Guillermo Rosales de raconter la violence des jeux
interdits, l’obsession d’une virilité encore floue,
et l’improbable rêve d’être un jour assez fort
pour pardonner. Sa prose est caillouteuse, c’est une
écriture qui serre les poings et qui ravale ses larmes. Elle
rappelle la rage et la beauté brute, accidentée, des
films de Pasolini.
❙ Guillermo Rosales
(La Havane, 1946 - Miami, 1993) parvient à quitter Cuba en 1979
pour s’établir aux Etats-Unis où il collabore
à la revue Mariel.
Indigent, dépressif, malade, il est interné dans un asile
en tous points semblable à celui qu’il décrit dans Mon ange. Il a brûlé la plupart de ses manuscrits et il tient du miracle que ces Mauvais Garçons
(finalistes du prix « Casa de las
Américas » en 1968) aient été
publiés à titre posthume à Miami en 1994.
Il était
l’ami de Reinaldo Arenas et de Carlos Victoria avec lesquels il
formait un trio inséparable, aussi complice que
désespéré. Reinaldo Arenas lui rend hommage dans Avant la nuit.
Carlos Victoria raconte dans une nouvelle, inédite en France,
l’histoire de l’ami génial et fou qui s’est
donné la mort.
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EXTRAIT |
La journée était très claire. L'herbe
extraordinairement verte et les araignées intensément
noires sur l'herbe. Les Mauvais Garçons ont fabriqué un
enclos avec les pierres du chemin. Ils ont finalement attrapé
deux araignées et les y ont mises.
Les deux bestioles ont essayé de sortir de
l'enceinte en pierre, mais en vain. Carcasse les renvoyait à
l'intérieur quand elles avaient presque réussi à
s'échapper.
— Battez-vous, salopes ! a dit Carcasse.
— Je crois que c'est un mâle et une femelle, a dit Quico Côtes-en-Long.
— Elles n'ont qu'à baiser alors ! a lancé Carcasse.
Rires unanimes.
La petite araignée est passé à
l'attaque et bientôt elle se sont agrippées furieusement.
Les Mauvais Garçons ont crié très fort en essayant
d'encourager la plus rachitique. Agar voulait voir la petite gagner.
Après tout, il se sentait un peu comme une petite
araignée au milieu d'un grand enclos entouré d'eau de
tous côtés.
— Mords ! il a crié, solidaire.
C'est alors que Mme Pomponio a fait son apparition en se
frayant un passage dans les romarins. Manifestemet, elle passait par
hasard dans la ruelle du Bossu et elle avait été
attirée par les cris. Elle a eu une grimace de
dégoût et s'est bouché le nez en voyant la jument.
— Bandes de sauvages ! elle a crié. C'est à ça que vous passez votre temps ?
Silence. Les Mauvais Garçons se sont
redressés et ont fait semblant d'être respectueux. Et au
milieu du silence Carcasse a émis un rot sonore.
Chœur des rires.
Mme Pomponio a essayé de dire quelque chose, mais
les rires ont noyé ses paroles. Elle a viré au rouge.
Elle a réussi à faire entendre une insulte au-dessus des
rires et elle est repartie en suffoquant.
La plus grande araignée avait gagné. Elle
s'est dégagée laborieusement de la morte et a entrepris
une retraite titubante vers les pierres. Carcasse l'a laissé
grimper et l'a lentement écrasé sous son pied.
Et ils sont retombés dans l'herbe.
Ils étaient heureux. Ils transpiraient comme des
chevaux sauvages sous le soleil du tropique et ils étaient
parfaitement heureux.
☐ pp. 70-72 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « El juego de la viola », Miami : Ediciones Universal (Colección Caniquí), 1994
| - « Mon ange », Arles : Actes sud, 2002 ; Actes sud (Babel, 617), 2003
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mise-à-jour : 8 août 2008 |

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