Greg Dening

Marquises 1774-1880 : Réflexion sur une terre muette

A
ssociation 'Eo Enata

P
irae (Tahiti), 1999
bibliothèque insulaire
   
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Préface, Georges Toti Teikiehuupoko

Je salue avec grande joie la parution en langue française de l'oeuvre magistrale du professeur Greg Dening : Islands and Beaches ; Marquesas : 1774-1880. Elle est connue et appréciée par tous les peuples polynésiens qui retrouvent, dans cette histoire des contacts interculturels vécus par les Marquisiens, un reflet des mêmes évènements survenus dans leurs îles, au cours du XIXe siècle. L'intrusion des Européens dans le Pacifique dégénéra trop souvent, en effet, en affrontements violents et domination coloniale, prélude d'une assimilation plus ou moins achevée de nos jours.

L'Enata 1 a peu écrit, l'a-t-il même jamais fait, pour sauver de l'oubli le passé de son peuple ou en expliquer la mentalité. La tradition orale était la mémoire vivante de ses ancêtres. L'histoire écrite, elle, sera l'œuvre des navigateurs, explorateurs, marchands, fonctionnaires ou missionnaires qui firent irruption dans les îles, au siècle dernier. Le professeur G. Dening a recensé, puis analysé ces écrits si divers et presque innombrables concernant le peuple marquisien. Sa bibliographie est constituée par la liste impressionnante des documents consultés. Son ouvrage en est la synthèse raisonnée suivant la méthode dite ethnohistoire. Il n'y a pas d'histoire authentique nous dit l'auteur, sans une interprétation des faits bruts à la lumière des apports de l'anthropologie ou connaissance de l'homme et de son milieu social, sa culture.

Greg Dening qui a visité l'Archipel il y a une vingtaine d'années, en parle comme d'une terre muette où survit un peuple dépossédé de sa culture ; celle-ci est devenue un thème de discours entre spécialistes, historiens et ethnologues. Il est vrai que l'Enata a souffert en silence les drames de son histoire et qu'il ne livre pas à l'étranger les traditions considérées comme un secret de famille. Les étrangers ou Hao'e par contre, en transcrivant leurs observations ou leurs impressions de voyage, insistent sur leur vaine recherche des traditions anciennes, des traces de l'art des tuhuna 2. Dans les vallées inhabitées, paepae 3 et tohua 4 envahis par la brousse, sont des ruines sans paroles dont le passé semble ignoré par les Marquisiens eux-mêmes. Mais la nouvelle génération revendique, et avec conviction, son identité culturelle. Elle situera dans un passé qu'elle ignore, la vision trop négative de leur Fenua 5 telle que perçue par l'auteur. Un mouvement existe, le Motuhaka ; il a l'ambition de rassembler les Enata, aussi individualistes que leurs ancêtres, dans l'action pour la sauvegarde de la tradition populaire et bâtir ensemble un avenir conforme à leur propre conception de l'existence. L'artisanat est prospère ; ses manifestations connaissent de réels succès économiques. Les chants et danses traditionnels sont mis en valeur en des festivals dont la renommée s'étend loin des frontières du Pays, Fenuaenata 6. A l'écoute des anciens, la jeunesse apprend les accents et les vocables authentiques de sa langue maternelle menacée par les assauts extérieurs du langage officiel des mass-media, et de l'enseignement excluant pratiquement son utilisation dans les programmes scolaires. Cette ouverture au monde a accéléré la prise de conscience, par la jeunesse scolarisée, de l'originalité de sa culture et a suscité son intérêt pour l'étude des documents sur lesquels se fonde son patrimoine culturel. En premier lieu, elle veut connaître et juger les circonstances qui expliquent pourquoi son pays dénommé Fenuaenata par ses ancêtres, fut inscrit sur les cartes marines et décrit dans le langage politique sous le nom de Iles Marquises. Par quelle voie les Enata survivants des drames du passé, sont-ils parvenus à l'état qui les fit appeler Marquisiens ? L'auteur conclut son récit des évènements que ses réflexions nous aident à interpréter, par une pensée qui pourrait être mise en exergue : « Ignorer son histoire est pour les Enata une frustration cruelle. La leur faire connaître est un privilège ». Le jeunesse marquisienne mesurera quelle dette de reconnaissance son Pays a contracté à l'égard du professeur G. Dening, et à l'égard aussi des traducteurs qui ont donné accès au public français à cette documentation sans prix.

Georges Toti Teikiehuupoko
Président de la Fédération culturelle Motuhaka
UAPOU — Fenuaenata

Les notes font référence au « vocabulaire » proposé en début d'ouvrage (pages 17 à 19)
1. Enata, Enana : Homme, être humain originaire des îles Marquises.
2. Tuhuna : maître d'œuvre, artisan qualifié ; savant.
3. Paepae : terrasse de pierres sèches sur lesquelles l'Enata construisait son habitation, ou tout autre demeure.
4. Tohua place publique, lieu des divertissements et manifestations diverses.
5. Fenua, Henua la terre, le pays.
6. Fenuaenata ou Henuaenana : Terre des hommes, noms que les Enata donnent à leur archipel.

mise-à-jour : 1er février 2006

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