René Depestre

Le mât de cocagne

Gallimard - Folio, 3081

Paris, 1998

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Haïti
parutions 1998
Le mât de cocagne / René Depestre. - Paris : Gallimard, 1998. - 208 p. ; 18 cm. - (Folio, 3081).
ISBN 2-07-040423-4

Il était une fois un homme d'action qui était contraint par l'État à gérer un petit commerce à l'entrée nord d'une ville des tropiques. Ainsi commence cette histoire où l'on voit l'ex-sénateur Henri Postel, en butte aux stratégies zombifiantes d'une dictature ubuesque, ne pas se résigner à vendre de menus comestibles ou de la méchante quincaille à la clientèle toujours aux abois de nos bas quartiers, fût-ce à l'enseigne de L'Arche de Noé.

Un jour d'octobre, Henri Postel décide de prendre part à un tournoi de mât de cocagne ; à ceux qui tentent de l'en dissuader il répond : ce mât est le seul chemin qui reste devant moi.

C'est Elisa, femme-jardinhortensia frais des montagnes — qui, dans l'épilogue, éclairera la dernière étape du parcours de l'homme d'action : “ Ta mort soutiendra la lumière des tiens, parce que de ton vivant tu as su élargir leur droit à l'espoir et à la liberté. Quand l'homme-Postel était à recommencer (…) tu es reparti à zéro, porté jusqu'au sommet du mât par le vouloir bon et pur de ton cœur sans ombres. Ta mort nourrira les actions et les rêves de ton peuple comme ta vie a fécondé ma vie … ” (p. 206). Et si Henri Postel n'a pas déraciné la tyrannie, il a ranimé l'exigence d'espoir qui, aux dernières pages, se porte sur Elisa la femme-jardin : “ Ne te laisse pas avoir, toi. Ne quitte pas ces montagnes. Tu y as un chemin postélien ouvert devant toi ! Suis-le, petite-fille ! ” (p. 207).

EXTRAIT

Le Port-au-Prince des années 40 levait vers eux sa confiante intimité : l'enfance, l'école, l'intense vie de famille, la chaleur des liens sociaux dans les fêtes et les bals de quartiers ; le carnaval qui arrivait sur ses chevaux fous ; la vie, l'amour, la mort, inscrits dans les murs fatigués de la ville, dans ses arbres et le vieux bois des maisons. Port-au-Prince étirait ses toits brillants de tôles ondulées, ses zones de verdure, le désordre de ses milliers de constructions démodées et branlantes, ses rues bourdonnantes, son port clairsemé de cheminées et de voiles. C'était toutefois une ville déjà ardente de mouches et d'abjections, pâle de poussière et d'ignominies.

Mais, en ce temps-là, des hauteurs de Fourmy, on pouvait encore la contempler sans nausée et sans contraction des muscles de l'estomac et de la gorge. Une journée transparente de juillet ou de tout autre mois de l'année, on pouvait, dans le miroitement de la chaleur, attirer Port-au-Prince vers soi et interroger les cauchemars et les mythes que l'histoire néo-coloniale avait gravés dans son bois et ses pierres. N'étant pas encore une cité muette, prostrée de terreur, elle vous ouvrait de bon gré ses plus secrètes mythologies. Sa vieille tristesse nègre vous répondait et vous laissait faire un choix parmi vos souvenirs. Si l'envie vous en prenait, vous pouviez vous enrouler tendrement dans les draps frais de votre enfance. La rivière Bois-de-Chêne qui traversait la ville était habituellement une sinueuse cicatrice blanche ; mais, après les pluies elle renaissait dans le paysage comme une jeune fille après ses règles. À contempler la ville du haut des collines, on trouvait, ici et là, dans sa pâleur et son abattement, des îlots de sécurité et de fraîcheur. La perception qu'on en avait rencontrait, sous la réverbération suffocante des jours, sous la peur de vivre, des zones d'ombre où l'imagination accablée pouvait cultiver le cresson et l'espoir. Le plus dénué des citadins avait la faculté d'ouvrir sa ville et de se pencher sur sa nuit utérine où l'on découvrait d'humbles trésors que la méchanceté de la papadocratie n'avait pas encore saccagés. Maintenant tu vois ce que l'ONEDA a fait de ta cité, un circuit fermé d'injustices, grouillant d'abus et de prévarications, rongé de hontes et d'impôts, un petit monde clos d'électrificateurs d'âmes. Tu as sous les yeux sa face nocturne aussi ravagée que son visage du jour. Ta nostalgie lentement se change en épée …

pp. 66-68

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Le mât de cocagne », Paris : Gallimard, 1979
  • « Albero della cuccagna » trad. di Cristina Brambilla, Milano : Jaca book (Mondi letterari, 3), 1993
  • Marie Joqueviel-Bourjea et Béatrice Bonhomme (dir.), « René Depestre : le soleil devant », Paris : Hermann (Vertige de la langue), 2015
  • Jérôme Poinsot, « Illuminations baroques - René Depestre, Le mât de cocagne », Paris : Books on demand, 2019
Sur le site « île en île » : dossier René Depestre

mise-à-jour : 7 décembre 2020

« Mon pays d'origine est un appel au secours »
Adresse aux Haïtiens d'aujourd'hui
Le Monde Diplomatique, avril 2004


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