Lilas Desquiron

Les chemins de Loco-Miroir

Stock

Paris, 1990

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Haïti
Les chemins de Loco-Miroir / Lilas Desquiron. - Paris : Stock, 1990. - 245 p. ; 23 cm.
ISBN 2-234-02286-X
NOTE DE L'ÉDITEUR : La moindre pulsation de tambour faisait palpiter ses reins, elle marchait comme on danse, frémissante, vers sa liberté …, ainsi Alma Viva Jean Joseph, dite Cocotte, décrit Violaine, sa sœur Marassa, sa jumelle, quoi, selon les esprits de Guinée, les Loas, ceux de l'autre côté de l'eau (nous sommes en Haïti) qui régissent la vie des vivants et des morts. Et les Esprits, croyez-moi, quand ils vous choisissent, votre vie cesse d'être un champ de roses … Pourquoi, par exemple, Violaine la resplendissante, à la peau de velours doré, se laisse-t-elle ainsi égarer ?

Pourtant, cette folle, cette tête d'orage, ce petit fruit rebelle, elle le savait bien que l'on ne tombe pas impunément amoureuse d'un pauvre Noir, si beau et intelligent soit-il, quand on est quasiment blanche et qu'on est promise à un riche héritier. Oui, mais voilà, si la vie s'alignait sur la couleur du ciel, il y a longtemps que Haïti serait le pays le plus heureux du monde … Dans ce premier roman, riche de tendresse et de sensualité, Lilas Desquiron, qui appartient à une vieille famille haïtienne, laisse percer, sous le foisonnement d'un langage magique, le regard acéré de l'ethnologue.
       
Lilas Desquiron est née en Haïti en 1946 ; elle a fait des études d'ethnologie à Bruxelles et à Paris ; elle a été ministre de la culture en Haïti entre 2001 et 2004.
RODNEY SAINT-ELOI : Le beau roman de Lilas Desquiron (…) raconte l'histoire d'un couple “ mixte ”, Alexandre et Violaine. La haute ville de Jérémie n'acceptera jamais l'union “ monstrueuse ” entre ce Noir orphelin de la basse ville et cette mulâtresse, fille de l'aristocratie mulâtre. Lilas Desquiron met à nu les conventions, les tabous et les préjugés de la société. Le roman se passe à Jérémie où s'était déroulé le massacre connu sous le nom de “ Les vêpres de Jérémie ”, tuerie commanditée en août 1964 par François Duvalier.

“ Passion Haïti », Brinon-sur-Sauldre : Grandvaux, 2019 — p. 171
EXTRAIT
   On m'a souvent raconté notre naissance à toutes les deux. Je suis née dans le canal, à la lisière des plantations caféières. Dans le canal où toutes les femmes se sont toujours retirées pour accoucher. Maman avait seize ans, un petit front bombé et la vaillance de notre race dans le corps. Elle me poussa sans dire un mot vers le soleil qui justement se hissait au-dessus des collines toutes badigeonnées d'abricot. Grann' Nannie qui l'assistait me prit contre son cœur et après m'avoir enduite des décoctions de rigueur contre les loups-garous, le mauvais œil, les mauvais airs, la fièvre, les entérites, les infections du nombril, elle me présenta aux quatre façades du monde : “ Par ta permission, Grand Maître, voici Alma Viva Jean Joseph qui vient parmi nous avec son chargement de joies et de tourments. Je la remets entre vos mains, Esprits de l'eau, ô mes Loas, mes Mystères, tous mes Saints ! Et je dis Abobo ! ”
   C'est, je crois, la seule fois que mon vrai nom fut prononcé tout haut dans le village. Très vite, tout le monde m'appela affectueusement “ Cocotte ” à cause de ma ressemblance avec un oiseau aux plumes ébouriffées, et aussi parce qu'il était utile d'avoir un “ nom de jeu ” pour égarer les malfaiteurs buveurs de sang.
   Pendant ce temps, dans la grande maison de Jérémie, Violaine venait au monde dans un cocon de dentelle. Alors que les reins nerveux de ma mère s'arc-boutaient contre la paroi tapissée de feuilles de bananier du canal, sa maman couleur de sucre roux se tordait dans ses draps de batiste. Les cris vigoureux de Violaine retentirent aussi incongrus qu'une sonnerie de clairon dans cette atmosphère feutrée. Malgré la soie et les valenciennes, c'est avec amour que la vieille Vénus enduisit le bébé des mêmes décoctions de feuilles sacrées, celles qui font de nous tous des “ Engendrés ”, des gens capables de survivre aux pires misères. Et à l'est, à l'ouest, au nord, au sud, Marie Athanase Cléonice Violaine fut présentée aux Mystères de ses ancêtres, ceux d'Afrique, que l'on rejette en paroles mais qui sont là, de la naissance à la mort, à tous les moments cruciaux de la vie … Qui parlera jamais de ce bâillon sur notre bouche, de ces écailles vissées sur nos paupières, de ce poids sur notre dos, toujours ? Les mots tarissent sur notre langue stérile … Qui parlera de ce lourd silence étouffant nos élans depuis la nuit sauvage des cales négrières ?
   Il était écrit depuis toujours que la mère de Violaine et la mienne mettraient au monde deux filles marassas, jumelles dossou-dossa. Et c'est nous qui devions poursuivre la patiente tâche de maintenir le souffle de la vie entre nos deux mondes : la campagne, refuge des Loas, et la ville où sont engrangés l'argent et l'instruction. Ay, quelle charge, quel passage pour nous, pauvres petits colibris, que de célébrer ces noces impossibles ! Et sans ça, sans ce fil fragile maintenu par les ancêtres à travers les générations et les nations, personne sur cette terre maudite ne pourrait même respirer !

pp. 14-15
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Les chemins de Loco-Miroir », Paris : Presses pocket (Presses pocket, 3917), 1991
  • « Reflections of Loko Miwa » translated by Robin Orr Bodkin, Charlottesville : University of Virginia press, 1998
  • « Les chemins de Loco-Miroir », Montréal : CIDIHCA, Regain, Port-au-Prince : Mémoire (Bibliothèque haïtienne), 1999
  • « Racines du voudou », Port-au-Prince : Ed. Henri Deschamps, 1990
  • Florence Bellande-Robertson, « The Marassa concept in Lilas Desquiron's Reflections of Loko Miwa : a socio-literary analysis of the Haitian race/color and gender problematic » with a preface by Edwige Danticat, Dubuque (Iowa) : Kendall/Hunt publishing, 1999.
Sur le site « île en île » : dossier Lilas Desquiron

mise-à-jour : 18 juin 2020
Lilas Desquiron : Les chemins de Loco-Miroir
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