La vie, si
obscure / Gabriel Janer Manila ; traduit du catalan (Majorque) par
Marie-José Castaing. - Gardonne : Fédérop,
2007. - 222 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-85792-175-2
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… il
aurait aimé que la splendeur de son petit monde reste
inaltérable, invulnérable aux calamités
extérieures, …
p. 65 |
Lasse du joug imposé par un milieu social sclérosé, « lasse de sentir que, tous les matins, on lui coupait les ailes », une
jeune majorquine de bonne famille s'éprend du fils de
l'épicier installé dans les dépendances d'un
palais voisin. Après s'être mariés en secret
à la cathédrale de Palma, les amants quittent l'île
pour la France ; quelques années plus tard commence la
seconde guerre mondiale. Dans la tourmente, les parcours de Margarida
et de Jaume s'infléchissent et divergent jusqu'à la
rupture. La paix revenue, ce sont deux existences brisées qui,
de retour sur l'île, se croisent fugacement ; mais l'espoir
même est irrémédiablement corrompu.
Dans le mouvement alterné qui conduit de l'île au
continent puis du continent à l'île, Gabriel Janer Manila
questionne et confronte sans complaisance le rêve du paradis
insulaire, associé à l'enfance, et le cauchemar de
l'enfermement — à l'enceinte maritime se superposent les
replis labyrinthiques d'une ville régie par des codes sociaux
d'un autre âge, où dans chaque palais « rugissaient encore quelques vieux minotaures », où le scandale et la folie sanctionnent toute tentative d'évasion.
Le poids obsédant de l'insularité et
l'âpreté du regard porté sur la
société majorquine de l'époque relèguent
à l'arrière-plan les péripéties proprement
romanesques qui, par contraste, paraissent n'avoir « jamais existé que dans l'ombre imaginaire d'un rêve ».
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EXTRAIT |
Margarida
observait la côte française au loin,
réfugiée dans les bras de Jaume. Elle imaginait qu'ils
étaient nés loin de leur île et les que les rues du
quartier de Sa Portella, près de la mer, les jardins secrets,
les patios des maisons, les cuviers et les balustrades n'avaient jamais
existé que dans l'ombre imaginaire d'un rêve. Elle
n'éprouvait aucune nostalgie du passé et, si elle avait
pu rayer cette île de la carte, elle l'aurait fait le jour
même. On racontait qu'un jour une tempête se
lèverait de la mer et la submergerait, qu'elle serait ensevelie
pour toujours avec ses magnolias, ses palmiers, ses pergolas de jasmin,
ses colonnes corinthiennes … Les chiens qui avaient
aboyé la veille lorsqu'elle s'était enfuie de la maison
— cela ne faisait pas vingt-quatre heures et elle avait
l'impression qu'une éternité s'était
écoulée : le chien du palais Olesa, celui du palais
Ferrandell, celui de la Grande Cristiana — continueraient
d'aboyer au fond de la mer. Ou bien qu'ils grimperaient peut-être
au sommet des clochers de la ville, les églises et les maisons
étant recouvertes par l'eau sauvage et, une fois parvenus sur la
dernière tour, ils lanceraient leurs aboiements
désespérés vers les nuages.
☐
p. 50 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « La vida, tan obscura », Barcelona : Columna, 1996
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mise-à-jour : 22 juin 2011 |

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