EXTRAITS
DE L'ENTRETIEN
AVEC
PIERRE GOPE |
Anne Bihan : Quel est le contexte d'écriture
de « La parenthèse » ?
Pierre Gope : Il y avait une urgence. Quelque
chose qui me tenait à cœur et que je voulais dire, haut,
fort, tout de suite.
[…]
Il y avait l'urgence de crier haut, sans attendre, que cette
« maison » est le don du sang et que si
c'est le prix du sang, c'est notre maison, c'est ma maison à
moi. Et si on m'en ferrme les portes, je souffre énormément.
Parce qu'elle est cette maison des richesses, mes richesses,
et que les richesses de cette terre doivent en sortir.
A.B. : Qu'entendez-vous par la « maison » ?
P.G. : C'est le Centre culturel Tjibaou. Mais
c'est aussi le pays. Le Centre a été mis là,
et il y a une question pour moi sur le sens de tout ça.
Il ne vient pas de nulle part. Il est un cadeau, le cadeau du
sang, ou s'il ne l'est pas, qu'est-ce que c'est alors ?
A.B. : Pourquoi ce titre, « La parenthèse » ?
P.G. : Parce qu'écrire ce texte est une
sorte de parenthèse. Une interrogation sur la culture
qui arrive au milieu des autres textes que j'ai écrits,
avec l'urgence de s'arrêter un peu pour réfléchir
à ça. La première image pour moi dans l'écriture,
c'est l'entrée du Jardinier. Le Jardinier entre dans la
maison, dans cette maison. Dès le début, je voulais
parler de cette maison. Il y avait cette image comme entre parenthèses,
avec un grand point d'interrogation à l'intérieur.
Je m'interrogeais sur le pourquoi du contenu de cette maison
et pourquoi le Jardinier doit planter là, faire son jardin
là. Est-ce que c'est pour fleurir autour de la maison ?
Est-ce que c'est pour entretenir les plantes et les porter à
l'intérieur de la maison ? Et s'il fait un pas à
l'intérieur de la maison, qu'est-ce qu'il aura à
y gagner, et qu'est-ce qu'il aura à y perdre ?
[…]
Dans cette histoire, tout le monde se cherche. Dans le jardin,
dans la maison, dans le pays, tout le monde se cherche, et tout
le monde se demande comment faire parce que l'esprit de discernement
est perdu.
[…]
A.B. : Le thème de la fidélité
à la tradition et la coutume, à la mémoire,
à l'héritage, est très présent dans
votre théâtre. Ne craignez-vous pas que cela conduise
à vous considérer comme un auteur fermé
sur sa culture ?
P.G. : Il y a beaucoup de malentendus. J'essaie
juste de voir clair. D'un côté, je dis que la tradition,
la coutume, comme nos langues, ne doivent pas disparaître,
parce qu'alors on fait disparaître un monde. Mais dans
le même temps, il y a l'idée de quelqu'un qui n'est
pas tourné vers le passé, qui est là simplement,
aujourd'hui, en train de regarder devant lui, de se demander
comment il va s'y prendre pour combiner les deux. Je veux renvoyer
à la nécessaire attention à la coutume,
au pays, à ce qu'il est, et dans le même temps,
projeter devant.
[…]
pp. 57-59
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