Letizia Battaglia,
passion, justice, liberté : photographies de Sicile
/ Letizia Battaglia ; textes Alexander Stille, Renate Siebert,
Roberto Scarpinatio (et al.) ; trad. de l'anglais par Pierre
Girard et de l'italien par Marguerite Pozzoli. - Arles :
Actes sud, 1999. - 139 p. : ill. ; 32 cm.
ISBN 2-7427-2413-3
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L'EXPRESS,
28 octobre 1999 :
C'est sous le titre Letizia Battaglia : passion, justice,
liberté (Actes Sud), que la photographe de presse
palermitaine a réuni en un ouvrage vingt années
de travail. Elle y montre son île meurtrie par la Mafia,
mais aussi aimante et raffinée.
[…]
Le titre de son recueil de photos
décrit parfaitement cette éternelle jeunesse de
64 ans, la frange blonde au ras des yeux, le cheveu rebelle,
le geste ample […]. Ce matin encore, elle était debout
aux aurores, partie faire de l'action sociale auprès d'un
groupe de détenus. Ensuite, elle a couru à la messe
en souvenir du padre Puglisi, le prêtre d'un quartier pauvre,
assassiné par la Mafia il y a six ans : « Il
avait osé parler contre. Il ne faut pas l'oublier ».
[…]
Courageuse, Letizia ? « Non,
généreuse, rectifie-t-elle. Je veux partager ma
vie avec les autres. Mais j'ai toujours eu peur. Quand le journal
m'appelait en pleine nuit : Viens, encore un meurtre …,
je partais la trouille au ventre. On ne s'habitue pas ».
Un jour, elle trouve huit cadavres exécutés méthodiquement.
Une autre fois, dans la nuit noire d'une banlieue, sous les phares
de la voiture de police, c'est un visage de Christ qui surgit
brutalement, immense tatouage sur le dos de l'homme assassiné.
« J'ai des morts plein mes archives ».
[…]
En 1992, au moment de l'assassinat
du juge Giovanni Falcone, qui conduisait l'enquête contre
la Mafia, elle a fait un admirable portrait de Rosaria Schifani,
la veuve d'un des gardes du corps du juge, tué lui aussi
dans l'attentat. « Je me souviendrai toujours d'elle
le jour de l'enterrement, raconte Letizia. Elle criait en regardant
la foule dans l'église : A genoux, mafiosi !
A genoux ! » Et puis, des années après,
quand la photo a commencé à faire le tour des journaux,
Rosaria s'est fâchée. Elle ne voulait plus être
la veuve héroïque. Elle s'était remariée.
Elle voulait vivre à nouveau.
« Elle a raison, dit
Letizia. Il faut rester dans la vie ». C'est pour
cela qu'elle chérit ses photos où les amoureux
s'enlacent dans l'herbe, les instants de bonheur capturés
du côté des ruines de Ségeste, ses séries
sur les reines de beauté ou la ferveur des processions
religieuses. Parce qu'elles racontent la candeur de la Sicile
et ses démesures. « Quand je suis loin, j'ai
peur pour Palerme. Je veux la protéger ».
Cécile Thibaud
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