R.U.R.
Rossum's universal robots : drame collectif en un prologue de
comédie et trois actes / Karel Čapek ; traduit du
tchèque par Jan Rubeš ; préface par Brigitte
Munier. - Paris : La Différence, 2011. - 219 p. ;
17 cm. - (Minos, 81). ISBN 978-2-7291-1922-5
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croyez encore que c'est le patron qui dirige l'entreprise ?
Non ! C'est l'offre et la demande qui commandent ! Tout le
monde voulait avoir son robot. Et nous avons donné juste un coup
de pouce à cette boule de neige avec nos discours sur la
technologie moderne et sur le progrès. Alors qu'elle roulait
toute seule, et de plus en plus vite. Avec chaque sale commande elle
devenait plus grande et plus difficile à arrêter. C'est
ça, chers amis.
Acte II, p. 158 |
Figure majeure de la littérature tchèque, Karel Čapek (1890-1938) doute des bienfaits de la civilisation ; c'est l'impression qui s'impose à
la lecture de ses « utopies insulaires ».
Dans La guerre des salamandres (Válka s mloky, 1936), des hommes dressent
un groupe de salamandres découvertes au large des côtes
indonésiennes en vue de l'exploitation intensive
d'un gisement de perles jusqu'au moment où ces « bêtes
intelligentes et confiantes » se révoltent.
Le héros de R.U.R. poursuit le rêve
qui animait le docteur Frankenstein ou le docteur
Moreau ; dans la pièce, cette préhistoire est
évoquée au travers de la figure du vieux
Rossum.Mais Čapek (comme, dans un autre registre, Xavier
de Langlais),
va plus loin que ses prédécesseurs ; le vieux Rossum qui, au prologue, entreprend de « faire un homme » est vite dépassé
par son rêve, et c'est une équipe aux ambitions plus prosaïques — un
homme d'affaires, des ingénieurs et un comptable — qui prend le relai.
Le nouvel objectif est de créer un androïde sans états
d'âme, un travailleur efficace et rentable, un robot 1 … Mais, les robots, comme
les salamandres, finissent par se rebeller et exterminent l'espèce
humaine. Un clin d'œil relativise le dénouement, en évoquant
non sans ironie le mythe du Golem et la Genèse 2.
L'île
qui sert de cadre à ces évènements peut faire écho à l'Eden
perdu ; c'est encore un lieu d'élection pour les délires expérimentaux
des apprentis sorciers (comme chez Huxley ou Wells) ; c'est enfin le
piège où se laisseront prendre sans possibilité de retrait des
protagonistes aussi mal avisés qu'imprévoyants. 1. | Néologisme créé
par Karel Capek à partir du tchèque robota : travail ou, plus précisément, corvée. | 2. | Cf. la préface de Brigitte Munier. |
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EXTRAIT |
DOMIN
Je vous montrerai au musée tout ce que Rossum a
bricolé en dix ans. Il voulait faire un homme, ça a
survécu à peine trois jours. Le vieux n'avait pas le
moindre goût. Il a fabriqué un épouvantail qui
avait à l'intérieur tout ce qu'il faut à l'homme.
Un vrai travail de bénédictin. C'est alors qu'est venu
ici l'ingénieur Rossum, le neveu du vieux. Un petit génie
mademoiselle. Quand il a vu tout ce gâchis, il a dit au
vieux : « Fabriquer un homme pendant dix ans est
insensé. Si tu ne le fais pas plus vite que la nature, ça
ne vaut pas la peine d'y perdre son temps. » Et il s'est
lancé dans l'anatomie.
HÉLÈNE
Pourtant, dans les livres, on dit autre chose.
DOMIN se lève.
Dans les livres, c'est de la publicité et ça n'a
aucun sens. On y dit par exemple que les robots ont été
inventés par le vieux monsieur. Il aurait pu enseigner à
l'université mais il n'avait pas la moindre notion de la
production industrielle. Vous savez, il s'imaginait qu'il allait
fabriquer de vrais hommes, de nouveaux Indiens ou des professeurs ou
des idiots. Ce n'est que le jeune Rossum qui a eu l'idée d'en
faire des machines intelligentes et vivantes. Tout ce qu'on raconte sur
la collaboration des deux Rossum, c'est de la blague. Ils ne cessaient
de se bagarrer. Le viel athée n'a jamais compris ce que c'est
que la production industrielle et le jeune a du l'enfermer dans son
laboratoire où il a continué à fignoler ses
avortons ; et il s'est mis à produire lui-même les
robots industriels. Le vieux le maudissait, il a pondu encore deux ou
trois monstres et on l'a trouvé mort dans son labo. Voilà
toute l'histoire.
HÉLÈNE
Et le jeune ?
DOMIN
Le jeune, mademoiselle, c'était l'ère nouvelle.
L'ère de la production qui a suivi l'ère du savoir. Il a
un peu regardé l'anatomie humaine et il tout de suite compris
que c'était trop compliqué et qu'un bon ingénieur
pourrait le faire plus simplement. Il a repris l'anatomie, il a
essayé de se passer de ceci ou de cela, de simplifier ici et
là … Bref … est-ce que je ne vous ennuie
pas ?
HÉLÈNE
Au contraire, je trouve cela très intéressant.
DOMIN
Alors le jeune Rossum s'est dit : Un homme, ça
ressent par exemple de la joie, ça joue du violon, ça a
envie de se promener, bref il y a tant de choses qui sont, au fond,
inutiles.
HÉLÈNE
Oh non !
DOMIN
Attendez un peu. Qui sont inutiles lorsqu'on doit, disons, tisser
ou calculer. Un moteur diesel ne doit pas nons plus avoir des franges
ou des ornements, mademoiselle Glory. Et fabriquer les ouvriers
artificiels, c'est la même chose que de fabriquer les moteurs
diesel. La production doit être simplifiée au maximum et
le produit le meilleur possible. Que pensez-vous, quel est le meilleur
ouvrier possible ?
HÉLÈNE
Le meilleur ? Probablement celui qui …
qui … est honnête … et
dévoué.
DOMIN
Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le
moins. Le jeune Rossum a mis au point l'ouvrier qui a le minimum
d'exigences. Il l'a simplifié. Il l'a débarrassé
de tout ce qui n'est pas absolument nécessaire pour qu'il
travaille. Ainsi, à force de simplifier l'homme, il a
créé le robot.
☐ Prologue, pp. 29-31 |
| COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « RUR,
Rossum's universal robots : Kolektivní drama o
vstupní komedii a trech aktech », Prague :
Vydalo Aventinum, 1920
- «
R.U.R., comédie utopiste en trois actes et un prologue »
traduit du tchèque par Hanuš Jelinek, Paris :
Jacques Hébertot, 1924
- « R.U.R. [suivi de]
Le dossier Makropoulos [et de] La maladie blanche » traduit du tchèque par Jan Rubes, La Tour d'Aigues : Ed. de l'Aube (Regards croisés), 1997
| - « La
guerre des salamandres » trad. du tchèque par Claudia
Ancelot, Paris : Messidor, 1990 ; Paris : Ibolya
Virág, 1996 ; Chêne-Bourg (Genève) : La
Baconnière, 2012 ; Paris : Cambourakis, 2012
- « Voyage
vers le Nord » trad. du tchèque par Benoît
Meunier, Paris : Ed. du Sonneur, 2010
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mise-à-jour : 20 juin 2012 |
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