Ira Levin

Un bonheur insoutenable, trad. nouvelle par Sébastien Guillot

Éd. J'ai lu - Nouveaux millénaires

Paris, 2018
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utopies insulaires

Baléares

parutions 2018
Un bonheur insoutenable / Ira Levin ; trad. de l'américain par Sébastien Guillot. - Paris : Éd. J'ai lu, 2018. - 379 p. ; 20 cm. - (Nouveaux millénaires).
ISBN 978-2-290-15542-4

Jésus, Marx, Wood et Wei
Nous ont accordé ce jour parfait.


Comptine de cour d'école — citée en épigraphe

L'édition originale du roman a été publiée en 1970 ; certains ont alors établi un parallèle avec le Meilleur des mondes (1932) d'Aldous Huxley ou 1984 (1948) de George Orwell. Presqu'un demi-siècle plus tard, la perspective offre au lecteur des aperçus différents – en raison d'une plus grande proximité avec le contexte du roman.

La société présentée par Ira Levin s'affirme vertueuse. C'est une utopie technologique unifiée, apaisée et synchrétique – où se mêlent des références au christianisme, au marxisme, au capitalisme, aux philosophies orientales. Au quatre coins géographiques du monde les citoyens parlent la même langue et se comportent les uns envers les autres en membres d'une même famille. On découvre vite que cette harmonie n'a été rendue possible que par le renoncement de tous à la liberté individuelle sacrifiée au profit de l'efficacité collective – la société est de fait gérée par une batterie d'ordinateurs surpuissants qui contrôlent chaque individu dans ses choix de vie (études, sexualité, emploi, …) comme dans ses activités et déplacements quotidiens (scrutés par des scanners omniprésents, …).

Enfin, tous sont soumis à un contrôle psychique rigoureux et subissent chaque mois l'injection d'une drogue conçue pour apaiser d'éventuelles tensions et conforter l'adhésion aux valeurs de la Famille. Il arrive pourtant que ce traitement manque d'efficacité ; la Famille fait alors bloc pour soutenir les volontés défaillantes en insistant sur les risques encourus à chaque écart : “ la capacité d'éprouver du bonheur semble entraîner celle d'être malheureux ” (p. 80). Ceux qui passent outre sont tenus pour incurables, et doivent se résoudre à fuir “ dans des endroits que la Famille laissait à l'abandon – des îles désertes, par exemple, ou des pics montagneux ” (p. 18).

Au fil de l'avancée du roman se dessine donc une opposition entre deux formes idéalisées de vie en société : le progrès tel que conçu par la Famille et les ordinateurs qui la contrôlent, et l'utopie régressive d'une vie proche de la sauvagerie dans quelques îles où se sont réfugiés des groupes d'incurables. L'auteur suit le parcours d'un de ces groupes qui fuit vers Majorque, “ une île de la Mer de la Paix éternelle ” … Une fois arrivés, les incurables découvrent vite que l'opposition tranchée entre les deux mondes ou les deux rêves ne résiste pas à l'épreuve de la réalité : partie intégrante du monde qu'ils ont cru quitter, l'utopie régressive fait office de “ soupape de sécurité ” en tenant à distance les éléments rebelles et en leur imposant une rude précarité. Mais cette fonction, trivialemement pragmatique, paraîtra bien anodine quand sera dévoilée la véritable nature unissant le cœur battant de la Famille à ses colonies excentrées. De quoi justifier la réaction extrême d'un incurable 
       
Resté célèbre pour son roman fantastique, Un bébé pour Rosemary, Ira Levin (1929-2007) a abordé de nombreux thèmes d’anticipation, comme le clonage — Ces garçons qui venaient du Brésil (1977) — ou la robotisation de l’individu — Les femmes de Stepford (1974). Dans la continuité du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Un bonheur insoutenable — This perfect day, 1970 — pose la question ô combien contemporaine des dictatures bienveillantes.
EXTRAIT    “ Où allons-nous ? ” lui demanda-t-elle un soir de la quatrième semaine.
   Il la regarda un moment – ils mangeaient le dernier gâteau de la journée – puis : “ À Majorque, une île de la Mer de la Paix éternelle.
   — Majorque ?
   — Une île d'incurables. Il en existe sept autres un peu partout dans le monde. Plus que sept, en réalité, certaines étant des archipels. (…)
   — “ Comment vivent-ils, sur cette île ?
   — Je n'en ai aucune idée. Ça risque fort d'être très dur, très primitif (…). En tout cas ses habitants y sont libres – peut-être même y ont-ils développé une civilisation avancée. Les premiers incurables étaient forcément des membres supérieurement intelligents, plein de ressources.
   — Je ne suis pas certaine d'avoir envie d'y aller.
   — Quelques jours de réflexion, et tous tes doutes auront disparu. C'est toi qui as soupçonné en premier la possibilité qu'existent des colonies d'incurables, tu t'en souviens ? Tu m'as demandé d'enquêter à leur sujet. ”
   Elle hocha la tête. “ Je m'en souviens. ”

pp. 221-222

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « This perfect day », New York : Random house, 1970
  • « Un bonheur insoutenable » trad. par Franck Straschitz, Paris : Robert Laffont (Best-sellers, 37), 1970
  • « Un bonheur insoutenable » trad. par Franck Straschitz, Paris : J'ai lu (J'ai lu, Science-fiction, 434), 1972, 2003

mise-à-jour : 12 février 2019
Ira Levin : Un bonheur insoutenable
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