Jacob Law

Dix-huit ans de bagne

Égrégores éditions

Marseille, 2005
bibliothèque insulaire

      

île-prison
parution 2005
Dix-huit ans de bagne / Jacob Law. - Marseille : Égrégores éd., 2005. - 110 p. ; 16 cm. - (Petite bibliothèque du malséant).
ISBN 2-9523819-0-9
N'est-ce pas là un horrible rêve. Hélas ! non, c'est la triste réalité.

p. 21

Juif originaire de Balta en Transnistrie, Jacob Law est une grande figure — oubliée — de l'anarchie : « Je sentais bien … que je n'étais pas né pour donner ma vie à un patron. Étant bien éduqué, et raisonnant avec moi-même, … je jurai de frapper sans hésitation celui qui oserait attenter à la liberté de mes frères les hommes ». Le 1er mai 1907 à Paris, il vise d'un coup de revolver un officier de la Garde républicaine « qui commandait à ses cavaliers de piétiner [son] frère, l'Ouvrier ». Jugé en octobre, il est condamné à quinze ans de travaux forcés et arrive à l'île Saint-Joseph, le 7 août 1908. Jacob Law sera libéré le 10 mai 1924 ; son témoignage est édité à Paris en 1926, après quoi il est expulsé et disparaît sans laisser la moindre trace.

« Dix-huit de bagne » est un témoignage accablant qui ne détourne les yeux d'aucune des tares d'un système déshonorant. Rigoureusement contemporains de l'enquête menée par Albert Londres 1, les faits évoqués ne sont à l'évidence pas déformés, ni les portraits chargés ; aussi terribles l'un que l'autre, le réquisitoire dressé de l'intérieur par l'anarchiste et celui établi de l'extérieur par le journaliste se recoupent scrupuleusement.


Durant ces longues années, Jacob Law ne renonce pas un instant à ses convictions. Il refuse donc catégoriquement de participer aux travaux obligatoires et paye sa détermination de multiples vexations et de longs séjours au cachot. De même il refuse tous les accomodements grâce auxquels, au prix d'une servilité accrue, la majorité des bagnards croyaient améliorer leur sort. C'est un homme droit qui est libéré en 1924.
       
1.Albert Londres, « Au bagne » (première publication dans Le Petit Parisien, août-septembre 1923), Paris : Le Serpent à plumes (Motifs, 59), 1998, 2005 ; Paris : Arléa, 2008
EXTRAIT Arrivé aux Îles en 1917, et toujours poussé par le sentiment d'altruisme, j'ai passé les trois quarts de ma vie au bagne dans les cellules et les cachots.
Là, j'ai pu connaître Dieudonné, qui, après avoir été accusé de tentative d'évasion, avait été mis à la corvée générale, pour être surveillé de plus près. Nous étions ensemble à damer les routes de l'île Royale et à décharger les bateaux Maroni, Mona et Oyapok. Il travaillait fort et de bon cœur, non pour se montrer bon travailleur, mais pour oublier la misère et ne pas penser à sa femme et à son fils.
Dieudonné a subi trente jours de cachot à côté de moi, sans jamais parler à personne. Moi qui ne pouvais pas dormir la nuit, et qui rêvais d'un monde meilleur, sans prisons et sans bagnes, pour ne pas penser à ma terrible situation, je chantais toujours dans un cachot, et comme j'ai passé de longues années dans les cachots, je n'ai jamais cessé de chanter. Dans le silence absolu, et cependant je ne chantais pas fort, Dieudonné m'avait entendu et, plus tard, il me dit : « C'est toi, Law, qui chanté toute la nuit ? Je ne pouvais pas dormir dans le cachot à côté. »
Et je lui ai répondu : « Oui ! Dieudonné, j'ai chanté pour ne pas devenir fou, moi qui suis presque toujours dans les cachots. J'ai chanté comme lorsque j'étais enfant, pour m'endormir. La chanson est un soulagement dans la souffrance d'un prisonnier, et une arme pour lutter contre la folie. »

En chantant, seul, aux fers, sans amis, j'ai rêvé que l'homme un jour, touché par la misère humaine, se révolterait, et renverserait ce monde faux, où règne la barbarie, le fer, la faim, la prison, le bagne.
Seul, dans mon cachot, affaibli par la faim, dans un silence atroce, loin du monde, comme une île en pleine mer, dans un silence comme celui de la brousse, où seul chante un oiseau qui a perdu ses petits, j'ai chanté aussi pour mes frères, j'ai chanté pour faire entendre au monde que c'est un crime de construire des prisons et de martyriser un homme parce qu'il a voulu défendre la Liberté.
J'ai chanté ? … Non ! je ne veux pas mentir. J'ai pleuré, car je voyais les hommes nus, pâles, anémiés, à demi fous. Je voyais mes frères martyrisés, sales, dans tous ces chantiers des îles et de Saint-Laurent, à Kourou, et dans les locaux cellulaires, les trois bâtiments de la réclusion et les blockhaus. Je voyais mes frères devant ce monstre — le bagne — qui a avalé tant d'êtres faibles comme un requin avale un poisson de 500 grammes.
Je voyais mes frères aller au travail, se soumettant comme des enfants, sans une parole, sous le commandement des misérables surveillants militaires, et trahis constamment par les autres condamnés, les « débrouillards ».

pp. 71-73
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Dix-huit ans de bagne », Paris : Éd. Libertaires de l'insurgé, 1926

mise-à-jour : 28 avril 2005

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