Robert Dean Frisbie

Un âge d'or : Tahiti 1920-1923, trad. et présenté par Henri Theureau

'Ura éditions

Papeete, 2017

bibliothèque insulaire

   
édité à Tahiti
parutions 2017
Un âge d'or : Tahiti 1920-1923 / Robert Dean Frisbie ; trad. de l'anglais et présenté par Henri Theureau. - Papeete : 'Ura éditions, 2017. - 244 p. ; 19 cm.
ISBN 979-10-93406-08-4
En relatant son départ des États-Unis, et le choix de sa destination, Robert Dean Frisbie évoque l'influence de ses lectures 1 ; il y revient avec force aussitôt débarqué à Tahiti : les insulaires qu'il découvre — à table, en train de danser — lui paraissent irréels : « ils appartenaient aux livres de Melville et de Stevenson plus qu'au théâtre de la vraie vie » (p. 18).

C'est avec ces insulaires, et grâce à eux, que Robert Dean Frisbie va connaître trois ans de bonheur à Vaiiti, « au kilomètre cinquante-deux … Avec un joli petit fare ni'au sur la plage. Un vrai paradis » (p. 25).

Cette immersion prolongée, loin de Papeete, permet un regard nuancé sur la vie quotidienne de personnages attachants. Le pittoresque n'est pas toujours conjuré, mais l'auteur sait observer, il a les sens vifs — l'œil, l'oreille — et une curiosité toujours en éveil au service d'une rare sensibilité. Plusieurs scènes retiennent l'attention : la cueillette des fe'i, la séance de cinéma, la pêche au thon albacore, la négociation en vue de l'achat d'une terre …

Quand il accompagne ses voisins et amis réunis pour chanter, Frisbie peut exercer une rare capacité d'écoute — qui au-delà des effets superficiels tente de s'approcher au plus près de l'âme d'une communauté.
       
1. Si Robert Dean Frisbie se rêvait en écrivain — qualité que les éditeurs rechignaient à lui reconnaître —, il était grand lecteur, capable au fil de son récit tahitien de citer Keats, Christopher Marlowe, Coleridge, Washington Irving, Shakespeare, Chaucer, ou … Maurice de Guérin ce qui n'est pas fréquent sous la plume d'un anglophone.
HENRI THEUREAU : Né en 1896 à Cleveland (États-Unis), Robert « Ropati » Dean Frisbie arrive en 1920 à Tahiti où il passe trois ans.

[…]

My Tahiti 1, écrit dans les années 1930, se présente comme le livre des souvenirs d'un « âge d'or », celui de son premier séjour dans les îles, au début des années 1920. Sa description de la vie « au district » à cette époque est minutieuse et drôle, pleine de fraîcheur et d'humanité, mais aussi d'une certaine mélancolie, car il s'agit pour lui d'une façon de vivre déjà disparue, sinon vouée à disparaître. Il rejoint en cela la quasi-totalité des étrangers arrivés dans les îles, persuadés d'avoir entrevu le Paradis, mais de l'avoir manqué de peu, quelle que soit par ailleurs l'époque à laquelle ils y ont débarqué.

[…]

Les vignettes de la vie tahitienne qu'on trouvera esquissées dans cette traduction […] révèlent un microcosme insulaire fragilisé par les épidémies et la soumission à des autorités autant missionnaires que coloniales, où le « progrès » avance à petit pas et où les problèmes fonciers semblent, déjà, quasi insolubles. Mais elles nous montrent aussi une population courageuse et accueillante, gaie, souriante et généreuse, encore très attachée à des racines paysannes, des traditions d'autarcie économique, de vie communautaire et d'entraide. Ces traditions ne seront définitivement bouleversées qu'un demi-siècle plus tard […] par l'intrusion brutale de la modernité via l'aéroport international et la manne contaminée des chantiers nucléaires.

Note du traducteur, pp. 7-9
       
1. Titre de l'édition originale publiée en 1937 à Boston ; 80 ans plus tard, la traduction d'Henri Theureau est la première en langue française.
EXTRAIT […]

Celles qui entonnent les chants, les faa'ara'ara himene, étaient assises sur un des côtés devant les maru haruru, et de l'autre côté les maru tamau himene, le chœur proprement dit. Chacune de ces sections avait ses meneurs, mais un étranger ne l'aurait jamais deviné à les regarder, car il n'y avait pas de signe de la main, ni de mouvement de tête, ni du corps, qui indiquât de chef. Toto était le chef de l'ensemble du chœur, mais lui non plus ne battait pas la mesure. Tous ces gens avaient un sens du rythme si précis, sans doute acquis au cours d'années de pratique, qu'ils chantaient parfaitement en cadence. Le seul devoir de Toto, en tant que chef de chœur, consistait à chanter en avance, sur des mélodies à lui, les paroles du verset suivant. Et de ceci, également, un étranger n'aurait pas eu conscience, car ce que lançait Toto se mêlait aux voix des autres en parfaite harmonie, comme le contrepoint des cors dans un grand orchestre, différent et pourtant harmonieux.

La partie de Oura Vahine était unique. On l'appelait la perepere himene, et ce qu'elle chantait, j'imagine, venait entièrement de son inspiration. Ses petites mélodies, aussi variées que belles, s'élevaient alors que la septième vague du chant avait atteint son sommet harmonique, et elles se brodaient comme l'écume de la mer sur les larges pentes de chaque cadence en train de mourir.

Je n'étais jamais las de l'écouter chanter ses étranges variations ; elles semblaient saturées de cette solitude des îles perdues sur la mer immense, pleines des bouillonnements inconscients de la vie sauvage.

Elle chantait, comme les autres femmes, les yeux baissés. Les lèvres entrouvertes bougeaient à peine, et l'on avait de la peine à croire que cette musique violente et primitive, qui bouleversait les sens et l'esprit, sortait avec aussi peu d'effort apparent de la poitrine de ces chanteuses — qui avaient l'air d'écouter plutôt que de chanter.

Soudaint le chant prit fin. Chanteurs et chanteuses, dans des attitudes de profond repos, gardaient les yeux baissés en silence. Quelque part un coq chanta, et son défi fut repris de près et de loin par tous les coqs du village, et même leurs cousins sauvages des montagnes. Et ce chœur-là, lui aussi, se tut aussi brusquement qu'il avait commencé. Alors, depuis l'entrée, parvint à mes oreilles le son des commérages.

« Himene », pp. 65-67
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « My Tahiti » ill. by W. Allister Macdonald, Boston : Little, Brown & Cy, 1937
  • « The book of Puka-Puka » ill. by Mahlon Blaine, New York : The Century, 1929
  • « Mr. Moonlight's island » with line-drawings by the author, New York : Farrar & Rinehart, 1939
  • « The Island of Desire, the story of a South sea trader », Garden City (N.Y.) : Doubleday, Doran, 1944
  • « Amaru, a romance of the South seas », Garden City (N.Y.) : Doubleday, Doran, 1945
  • « Dawn sails North », Garden City (N.Y.) : Doubleday, Doran, 1949

mise-à-jour : 20 avril 2018
Robert Dean Frisbie : Un âge d'or, Tahiti 1920-1923
Illustration de couverture : détail d'un paysage peint par Jean-Charles Bouloc en 1968
   ACCUEIL
   BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE
   LETTRES DES ÎLES
   ALBUM : IMAGES DES ÎLES
   ÉVÉNEMENTS

   OPINIONS

   CONTACT


ÉDITEURS
PRESSE
BLOGS
SALONS ET PRIX