Un Cubain à Paris / Eduardo Manet. - Paris : Ecriture, 2009. - 213 p. ; 23 cm. ISBN 978-2-909240-90-9
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| Quant à moi, l'obsession poursuit sa ronde singulière : je vis à Paris et je continue à parler de Cuba.
p. 214 |
A
Paris où il est arrivé en 1951 (un an avant le coup
d'État de Batista), comme à Pérouse et Florence
où il a séjourné, Eduardo Manet est habité
d'un insatiable appétit pour l'Europe, son mode de vie et sa
culture — littérature, théâtre,
cinéma. Mais Cuba ne le quitte jamais. Durant un bref
retour dans l'île (1960-1968), le rapport s'inverse sans que
s'interrompe un dialogue dont on peut mesurer l'intensité.
Eduardo Manet est là dès que se présente
l'occasion d'accueillir des visiteurs d'outre-Atlantique : Chris
Marker, Maurice Nadeau, Nathalie Sarraute, ou Jean-Paul Sartre et
Simone de Beauvoir ; il sert d'interprète, de perroquet bilingue, à cette dernière lors d'un tête-à-tête organisé avec Celia Sánchez.
Ce
va-et-vient fait tout l'intérêt du recueil de souvenirs et
des interrogations parfois empreintes d'angoisse qui ne manquent pas de
les accompagner — surtout quand il faut choisir entre
écrire dans la langue maternelle ou dans celle du pays
d'accueil, question qui brûle la langue d'un jeune
interlocuteur : « avez-vous le sentiment d'avoir perdu
votre âme en délaissant l'espagnol pour le
français ? » Evoquer les exemples
d'Arrabal, Ionesco ou Beckett n'apporte pas
nécessairement le réconfort attendu.
Le retour
à Paris, en 1968, marque un choix délibéré,
le rejet de la dictature, mais laisse ouverte la
déchirure : « La France est mon pays. Cuba est
mon calvaire. Impossible d'oublier mon
île … »
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EXTRAIT |
J'ai dîné à Madrid avec [Heberto] Padilla
au début des années 1980. Il luttait contre l'alcoolisme
et le mal de vivre, mais il gardait intacts son intelligence et son
sens de l'humour. Il me parla de la prison et des pressions qu'on avait
exercées sur lui pour le pousser à faire son
autocritique, dans la pure tradition stalinienne. — Pour me faire perdre la face devant mes camarades écrivains. […]
Je repense souvent à Heberto, à notre délire
verbal, ce soir-là à Madrid. Je me souviens aussi de sa
question : « Pourquoi es-tu retourné à
Cuba en 1960 ? Tu étais installé à Paris, tu
écrivais en français … » Je lui
ai parlé de la lettre de Gutiérrez Alea enjoignant
à ses amis à l'étranger de revenir à Cuba
pour participer à la construction du pays, dans ces
années euphoriques et bouleversées où tous les
rêves étaient possibles : avant l'UMAP 1, avant la création du Parti communiste, avant le discours de Fidel aux intellectuels. J'explique à Heberto :
— En 1961, toi comme moi avons pris des fusils pour
défendre la révolution. La stupidité des
Américains, l'opération de la baie des Cochons, ont
même réussi à faire de nous des miliciens
armés. La crise d'octobre 1962 était de nature
très différente. Castro était prêt à
déclencher une guerre atomique. Encore un coup de force du
Galicien : vous voulez enlever les missiles ? Soit, je
demanderai aux Russes d'appuyer sur le bouton. Grâce à
l'obstination de Kennedy, les missiles ont été
retirés. Mais quel plaisir de manifester dans les rues de La
Havane en hurlant : « Nikita, pédé, on ne
reprend pas ce qu'on a donné ! » Et Heberto et moi de nous mettre à chanter : « Nikita, mariquita, lo que se da no se quita ! », attirant les rires des gens attablés autour.
Il avait compris pourquoi j'avais subitement quitté Cuba
en 1968 : dictature de droite, dictature de gauche … Quels
que soient les aspects positifs de cette révolution que nous
avions défendue, le docteur Castro, contrairement à ce
qu'affirment les nombreux « agents d'influence »
de Cuba en France, Castro Fidel n'est rien d'autre qu'un dictateur.
☐ pp. 210-212 1. | Unidades Militares de Ayuda a la Producción. |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « L'île du lézard vert », Paris : Flammarion, 1992 ; Paris : Seuil (Points, 672), 1994
- « Habanera », Paris : Flammarion, 1994
- « Rhapsodie
cubaine », Paris : Grasset, 1996 ; Paris :
Librairie générale française (Le Livre de poche,
14412), 1998
- « D'amour et d'exil »,
Paris : Grasset, 1999 ; Paris : Librairie
générale française (Le Livre de poche, 15030), 2001
- « La sagesse du singe », Paris : Grasset, 2001 ; Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 15466), 2003
- « Mes années Cuba », Paris : Grasset, 2004 ; Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 30687), 2006
- « La maîtresse du commandant Castro », Paris : Robert Laffont, 2009
- « Les trois frères Castro », Paris : Ecriture, 2010
| - Enrique Serpa, « Contrebande » présentation par Eduardo Manet, Paris : Zulma, 2009
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mise-à-jour : 24 septembre 2010 |

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