Charles King

La réinvention de l'humanité, trad. de l'américain par Odile Demanger

Albin Michel

Paris, 2022
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errances

parutions 2022

La réinvention de l'humanité / Charles King ; traduit de l'américain par Odile Demange. - Paris : Albin Michel, 2022. - 507 p.-[16] p. de pl. : ill. ; 24 cm.
ISBN 978-2-226-45206-
1
Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas simplement parce qu'elle convainc ses adversaires et leur fait voir la lumière, mais parce que ceux-ci finissent par mourir, et que la nouvelle génération qui leur succède a une plus grande familiarité avec elle.

Max Planck (1948), cité en épigraphe p. 9

NOTE DE L'ÉDITEUR
 :
Ce livre parle de femmes et d'hommes qui ont été en première ligne de la plus grande bataille morale de notre temps : prouver que, quelles que soient les différences de couleur de peau, de genre, d'aptitudes ou de coutumes, l'humanité est une et indivisible.

C'est un véritable combat intellectuel et scientifique qui fut lancé au début du XXe siècle. À sa tête : Franz Boas, juif allemand émigré aux États-Unis, révolutionna les sciences humaines et donna naissance à l'anthropologie moderne. Consacrant une grande partie de sa vie à l'étude des Inuits et des tribus indiennes de la côte Nord-Ouest du Canada, il aura plus tard une influence considérable sur Claude Lévi-Strauss.

Charles King retrace ici le parcours de ce précurseur et celui de ses élèves, tout aussi anticonformistes et visionnaires que lui, parmi lesquels quatre femmes : Margaret Mead, Ruth Benedict, Ella Cara Deloria et Zora Neale Hurston. Ensemble, ils firent profondément évoluer le regard que nous portons sur l'humanité et démantelèrent les mécanismes à l'origine de la xénophobie et du racisme.
Dans la première moitié du XXe siècle, l'anthropologie a connu une révolution qui, plus tard et très progressivement (1), s'est imposée dans l'ensemble de l'Occident développé : les théories raciales alors solidement établies ont été irrémédiablement et scientifiquement dénoncées, les sociétés non occidentales ont retrouvé leur place dans le flux incessant de l'histoire universelle et, plus généralement, le regard porté d'ici sur là-bas a perdu sa présomption de centralité, de supériorité et d'hégémonie.

A la source de cette formidable avancée, le professeur Franz Boas et une poignée de ses étudiant(e)s, au premier rang desquels
Ruth Benedict, Ella Cara Deloria, Zora Neale Hurston et Margaret Mead (2). Le progrès à porter au crédit de ces découvreurs de la richesse d'un monde, où nul ne devrait être rhabillé en sauvage ou en barbare, était fondé sur de rigoureuses observations de modes de vie éloignés des lieux où se concentraient l'économie et la pensée occidentale ; inclination, hasard ou facilité méthodologique, les îles y sont nombreuses : la Terre de Baffin, Vancouver, Samoa, Papouasie Nouvelle-Guinée, Haïti, …

En retour, le nouveau regard porté sur ces cultures lointaines et à l'évidence différentes a ouvert de riches perspectives en permettant une ré-évaluation de la société au sein de laquelle les chercheurs avaient pris leur essor — un bénéfique effet de miroir (3) grâce auquel la société occidentale peut espérer se dégager de carcans immémoriaux (4).

Les travaux de Franz Boas, de Ruth Benedict de Margaret Mead et de leurs proches ont été poursuivis, complétés, enrichis et contestés parfois violemment. Mais les questions posées alors sont toujours aussi fraîches, aussi urgentes, aussi nécessaires … et aussi dérangeante aux yeux de certains (5).

(1)Aujourd'hui encore l'héritage de Franz Boas et de son cercle se heurte à de vifs préjugés fondés sur l'ignorance, la peur ou l'appétit de domination.
(2)D'autres figures marquantes de la recherche anthropologique sont, à l'occasion, évoquées : prédécesseurs (Bronislaw Malinowski), proches des membres du premier cercle (Gregory Bateson, Reo Fortune, Melville Herskovits, Alfred Kroeber, Edward Sapir, …) ou adversaires plus ou moins déterminés (Clifford Geetz ou Ralph Linton par exemple).
(3)” Quand nous pensons étudier des gens là-bas, nos allégations concernent en réalité des gens d'ici — nous et nos voisins, notre sens du normal, de l'évident et de l'ordinaire. ” — p. 222
(4)” Les cultures sont des tailleurs rusés. Elles coupent des vêtements comme cela leur convient, puis travaillent dur à remodeler les individus pour que ces vêtements leur aillent. […] Le changement culturel intervenait quand suffisamment de gens commençaient à remarquer que les vieux habits ne leur allaient tout simplement pas. ” — p. 335
(5)L'acceptation de la relativité culturelle, écrivait [Ruth Benedict], mentionnant clairement pour la première fois l'idée centrale du cercle de Boas dans un texte de grande envergure, implique de nouvelles valeurs qui n'ont pas besoin d'être celles des philosophes absolutistes. ” — p. 325
EXTRAIT Conformément aux usages sociologiques de son temps, Mead n'employait jamais le terme de genre dans un autre sens que linguistique. Toutes les langues qu'elle avait étudiées en Nouvelle-Guinée possédaient des genres multiples — les noms n'étaient pas seulement définis comme masculins, féminins et neutres, car il existait plus d'une dizaine d'autres catégories grammaticales permettant de classer un végétal, un oiseau ou un œuf de crocodile. Néammoins, dans Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée, elle chercha à établir une distinction éclatante entre le sexe comme biologie — tel ou tel type d'organes génitaux ou bien tel ou tel ensemble de caractères sexuels secondaires — et le sexe comme catégorie sociale. Le premier pouvait être considéré comme une catégorie de faits biologiques, en tout cas pour tous les êtres humains à l'exception d'une petite minorité. Le second que nous appelons aujourd'hui simplement “ genre ”, était le produit d'un temps et d'un lieu précis — les positions sociales distinctes qu'une société donnée attribuait aux hommes et aux femmes, ou le répertoire de rôles, de comportements, d'attirances et de potentialités qu'elle mettait à la disposition des gens, sans guère se référer au sexe biologique.

C'était une adaptation du débat que Boas avait engagé plusieurs années auparavant à propos de la race, sur la distinction entre les différences physiques identifiables et la catégorie sociale. Les conclusions de Mead étaient le fruit de ce qu'elle avait appelé, dans sa correspondance avec Benedict, sa pratique de “ biographie révisée ”, c'est-à-dire l'application des théories de sciences sociales à l'auto-analyse critique. Celle-ci avaient produit […] les textes académiques qui deviendraient Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée. Mead avait enfin un moyen de comprendre sa propre nature mélangée, inadaptée, et cela lui permettait également de parler des tragédies et des passions d'un grand nombre des femmes et des hommes qu'elle avait connus dans sa vie […]. 


p. 334
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Gods of the upper air : how a circle of renegade anthropologists reinvented race, sex, and gender in the twentieth century », New York : Doubleday, 2019
  • Nelcya Delanoë, « Révolutionnaire Franz Boas », En attendant Nadeau, Juin 2022 [en ligne]
  • Gregory Bateson, « La cérémonie du naven : les problèmes posés par la description sous trois rapports d'une tribu de Nouvelle-Guinée », Paris : Ed. de Minuit (Le Sens commun, 25), 1971
  • Ruth Benedict, « Echantillons de civilisations », Paris : Gallimard (Les Essais, XLII), 1950
  • Ruth Benedict, « Le chrysanthème et le sabre », Paris : Philippe Picquier, 1987
  • Franz Boas, « L'art primitif », Paris : Adam Biro, 2003
  • Reo F. Fortune, « Sorciers de Dobu : anthropologie sociale des insulaires de Dobu dans le Pacifique », Paris : François Maspero (Bibliothèque d'anthropologie, 6), 1972
  • Melville J. Herskovits, « Life in a Haitian valley », New York : Alfred A. Knopf, 1937.
  • Zora Neale Hurston, « Des pas dans la poussière : autobiographie d'une petite-fille d'esclaves », La Tour-d'Aigues : L'Aube, 1999
  • Margaret Mead, « Mœurs et sexualité en Océanie » réunit les traductions de Sex and temperament in three primitive societies et Coming of age in Samoa —, Paris : Plon (Terre humaine), 1963

mise-à-jour : 23 septembre 2022
Charles King : La réinvention de l'humanité
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