Paul-Émile Lafontaine

Campagne des mers du Sud

Mercure de France - Le Temps retrouvé

Paris, 2006

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errances
parutions 2006
Campagne des mers du Sud / Paul-Émile Lafontaine ; éd. établie, préfacée et annotée par Dominique Delord. - Paris : Mercure de France, 2006. - 456 p. ; 18 cm. - (Le Temps retrouvé).
ISBN 2-7152-2605-5

DOMINIQUE DELORD : Le 17 décembre 1875, le Seignelay quitte Toulon pour rejoindre la Division du Pacifique, avec à son bord un lieutenant de vaisseau, Paul-Émile Lafontaine [1829-1887]. Durant quarante mois de campagne, le croiseur naviguera de la Terre de Feu à San Francisco […] jetant l'ancre dans la myriade des îles de la Polynésie 1, dont l'île de Pâques. De retour en France, Lafontaine racontera cette Campagne des mers du Sud, dont les cinq cahiers viennent seulement de sortir de l'ombre.

Lafontaine fut aux premières loges pour observer […] le sort mélancolique de l'île de Pâques ou la déliquescence de Tahiti. La mission du Seignelay reflétait une des orientations majeures de la Troisième République : des expéditions de colonisation s'appuyant sur une meilleure connaissance de la géographie 2 et des cultures étrangères.

Bon observateur sans prétentions, volontiers sarcastique, le républicain Lafontaine vit cette campagne avec lucidité, mais elle est aussi pour lui une aventure personnelle. Comment ne pas imaginer l'enthousiasme de Lafontaine, quand on lui confie une exploration de l'île de Pâques ? […] Dans son petit groupe figure un jeune savant excentrique, Alphonse Pinart 3, déjà auréolé de la gloire d'une expédition en Alaska […].

Après d'autres campagnes, Lafontaine finira modestement sa carrière au port de Rochefort, puis comme trésorier des Invalides à La Rochelle, où il est mort en 1887. On ne connaît de lui d'autre texte qu'un amusant vaudeville joué sur le Seignelay.

Nouvelle Revue Française, n° 576, janvier 2006, pp. 332-333
       
1.Outre Tahiti et l'île de Pâques : les îles Marquises, les Tuamotu, Samoa, Tonga, Wallis et Futuna, Fidji, …
2.Dominique Delord rappelle cette profession de foi du vice-amiral La Roncière Le Noury, alors président de la Société de Géographie : « La géographie (…) est devenue la philosophie de la terre ».
3.D'autres passagers ont été reçus, plus ou moins longuement, à bord du Seignelay ; c'est le cas notamment de lady Constance Frederika Gordon Cumming, embarquée d'août à octobre 1877 (cf. bibliographie, ci-dessous).
EXTRAIT

Après la messe, on se rendit sur la place du village [à Futuna], où deux cochons — rôtis tout entiers dans des fours canaques — avaient été déposés en demi-cercle devant les nattes où les autorités vinrent prendre place. De sorte que les grands personnages formaient la moitié d'une circonférence dont l'autre moitié était composée de porcs rôtis.

Au centre était placé un immense bassin en bois contenant (ou plutôt devant contenir) le kava, boisson de base, qui ne se sert que dans les grands jours, et que pour nous faire plus d'honneur on prépare devant nous.

Douze jeune filles Paraténias (c'est-à-dire vierges ou prétendues telles) vinrent s'asseoir autour de l'immense cuvette, et mordirent à belles dents dans une grosse racine dont elles détachaient de belles bribes qu'elles mâchonnaient ou, pour parler français, qu'elles mastiquaient jusqu'à ce qu'elles eussent la bouche pleine de jus et de salive ; alors elles crachaient le tout dans la cuvette !

Lorsque le vase fut à peu près plein, ce qui demanda plus d'une heure, elles prirent des écorces sèches de coco (ce qu'on appelle le foin) et les ayant mises en étoupe elles se mirent à brasser la liqueur en y plongeant les bras jusqu'au coude. Puis cette étoupe de coco fut retirée, entraînant dans ses fibres jusqu'aux plus petites parties de la racine de kava.

Il resta alors une liqueur d'un blanc jaunâtre, qui du moins, si elle n'était pas limpide, était dépouillée de tout corps étranger.

Le roi du village, pressant une tasse en noix de coco, l'emplit et la vida d'un trait ; puis, la remplissant de nouveau, il alla la présenter à Mgr Elloy, qui la vida sans sourciller. Ce fut alors le tour du commandant Aube, qui dut s'exécuter, car c'eût été une injure grave que de ne pas accepter le kava.

Après ces trois grands personnages, ce furent les jeunes filles qui offrirent le kava. Il fallut tous nous résigner à avaler cet horrible breuvage, qui n'était pas précisément mauvais, mais c'était la façon dont nous l'avions vu faire qui était trop répugnante.

M. Pinart trouva la liqueur très bonne, mais pourtant bien inférieure à l'huile de baleine, dont il s'était nourri lorsqu'il était avec les Esquimaux !

Lorsque la cuve à kava fut vide, on fit la distribution des cochons rôtis, et chacun emportant sa proie alla la dévorer sous l'ombrage de quelque grand arbre à pain.

pp. 282-283

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Paul-Émile Lafontaine, « Voyages à l'île de Pâques et au Pérou » extrait de Campagne des mers du Sud présenté par Dominique Delord, Nouvelle Revue Française, n° 576, janvier 2006 (pp. 332-360)
     
  • Constance F. Gordon Cumming, « A lady's cruise in a French man-of-war », Edinburgh : William Blackwood, 1882 ; New York : Praeger, 1970
  • Alphonse Pinart, « Voyage à l'île de Pâques » dessins de A. de Bar d'après les croquis de l'auteur, Le Tour du monde, Nouveau journal des voyages, vol. XXXVI, 2nd semestre 1878 (pp. 225-240) ; in « Rapa Nui - Île de Pâques », Bulletin de la Sté des études océaniennes, n° 281-282, juin-septembre 1999 (pp. 51-76)

mise-à-jour : 12 avril 2006

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