Pierre Maranda

Voyage au pays des Lau (îles Salomon, début du XXIe siècle) : le déclin d'une gynécocratie

Cartouche - Voyage au pays des …

Paris, 2008
bibliothèque insulaire
   
des femmes et des îles

parutions 2008

Voyage au pays des Lau (îles Salomon, début du XXIe siècle) : le déclin d'une gynécocratie / Pierre Maranda ; ill. par Alban Perinet. - Paris : Cartouche, 2008. - 188 p. : ill., carte ; 20 cm. - (Voyage au pays des …).
ISBN 978-2-915842-31-9
Les Lau vivent sur des îlots artificiels créés par empilement de blocs de corail dans le lagon au nord-est de Malaita (Salomon) — une tradition dont les premiers exemples connus datent de six siècles. Les Lau tirent leur subsistance de la mer ; ce qu'ils ne consomment pas est échangé lors de marchés périodiques avec les populations descendues de la montagne chargées de cochons, d'ignames, de taros, patates douces et autres produits de la terre.

Pour avoir vécu en famille plusieurs années avec les Lau, Pierre Maranda a relevé quelques traits qui caractérisent ce mode de vie où « échanges mutuels de biens, de services et de coups, les conflits comme l'amitié » semblent constituer le fondement du « commerce au sens premier du terme » (p. 92). Pas de quoi se plaindre du cours des choses quand « il suffit qu'un homme travaille en moyenne une demi-journée sur dix jours » (p. 105) ; et l'observateur précise « n'avoir rencontré aucune névrose, aucune schizophrénie ou aucune autre psychopathologie chez les Lau au fil des quarante dernières années » (p. 112).

Empreint en apparence de simplicité, cet équilibre repose sur une structure sociale qui ne manque pas de déconcerter l'occidental de passage. Dès leur arrivée en pays Lau, Pierre Maranda et sa femme sont instruits de l'étiquette locale qui repose sur un strict partage entre les domaines féminin et masculin : « [le village] se divise en trois quartiers. Celui des femmes est interdit aux hommes et celui des hommes aux femmes. Dans le quartier commun, ou mixte, si les deux sexes se côtoient, l'espace est là encore régi par des tabous » (p. 36).

Pour entrevoir les fondements et la portée d'un cloisonnement si rigoureux, Pierre Maranda devra se familiariser avec l'ontologie malaitaine qui « stipule la primauté existentielle du féminin sur le masculin », où « le haut appartient aux hommes et le bas aux femmes », instituant un mode de relations où les uns, « toujours susceptibles de chuter, se soumettent en vassaux inquiets aux secondes » (p. 59).

L'ordre qui réglait la vie sociale des Lau de Malaita à l'arrivée de Pierre Maranda semblait immémorial, et remonter aussi loin dans le temps que la construction des premiers îlots artificiels. Pourtant de profonds changements étaient en gestation ; quant à la mission de l'ethnologue, elle allait se heurter à d'imprévisibles voire improbables aléas — ici relatés avec recul et non sans humour.
EXTRAIT Sous les tropiques, l'aube et le crépuscule pointent aux mêmes heures avec une régularité de métronome, ne variant que d'environ trente minutes entre les saisons sèche et humide. Mais les mouvements de la marée neutralisent le rythme solaire. Aubes, midis ou crépuscules ne connaissent pas d'absolu : un matin ou une nuit à marée montante n'ont que peu à voir avec un matin ou une nuit au jusant. Une nuit de marée haute, par exemple, la plupart des hommes sortiront en expéditions de pêche comme en plein jour et se coucheront à 3 h 00, à l'aube, à 8 h 00, etc., selon ce qu'impose la marée.

Le flux et le reflux marquent le temps de vivre, au mépris du soleil ; le calendrier lunaire l'emporte sur le grégorien. À 6 h 00 un matin, levé sur une marée haute, étale, le lendemain à la même heure, levé avec le flux mais on ne sera en morte-eau qu'à 6 h 50, et le surlendemain à 7 h 40, et ainsi de suite. La mer contrecarre l'alternance des jours et des nuits, elle impose aux hommes sa cadence, contraints de s'accorder à ses lentes aspirations et expirations. Les adolecents lau qui doivent apprendre à domestiquer leurs ardeurs pour se synchroniser à l'éclosion érotique de la femme qu'ils caressent, expérimentent quelque chose de même nature que leurs pères avec la mer. Plus puissant que l'alternance du jour et de la nuit, le va-et-vient de l'océan 1 fait fi de la lumière et de l'obscurité, module la lagune, suscite les brises, brasse effluves et odeurs …

Le sexe des marées et Grand-mère la Lune, pp. 115-116
       
1. Soumis à l'influence de la lune, principe féminin, comme l'auteur le précise plus loin : « Les marées réitèrent inlassablement la présence de la lune, même quand elle est invisible. Le rythme féminin prime. Je rappelle que la force d'attraction du soleil sur l'océan équivant à 46 % de celle la lune » (p. 117).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Jack London, « Jerry, chien des îles » trad. de l'anglais par Claude Gilbert, préface de Pierre Maranda, Paris : Phébus (Libretto, 291), 2009
Musée de la civilisation (Québec), Fonds Pierre Maranda

mise-à-jour : 1er juillet 2016
Anthropologue québécois né en 1930, disciple de Claude Lévi-Strauss, spécialiste des îles Salomon,
Pierre Miranda est mort à Québec le 5 juillet 2015

   ACCUEIL
   BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE
   LETTRES DES ÎLES
   ALBUM : IMAGES DES ÎLES
   ÉVÉNEMENTS

   OPINIONS

   CONTACT


ÉDITEURS
PRESSE
BLOGS
SALONS ET PRIX