Les comédiens /
Graham Greene ; traduit de l'anglais par Marcelle Sibon. -
Paris : Robert Laffont, 2006. - 536 p. ;
18 cm. - (Pavillons poche).
ISBN 2-221-10708-X
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« The
Comedians, »
Graham
himself later wrote, « is
the only one of my books which I began with the intention of expressing
a point of view and in order to fight — to fight the
horror
of Papa Doc's dictatorship. »
☐ Bernard Diederich, Seeds of fiction, p. 112
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Visiteurs ou résidents, Brown, Jones,
Mr et Mrs Smith, tout comme Martha et Luiz, auraient pu
n'être que les témoins passifs d'une convulsion
dévastatrice comme il n'en manque pas dans l'histoire
d'Haïti — face au risque de se
laisser happer par la tourmente fratricide l'étranger n'a
d'autre choix qu'indifférence affichée et
impuissance consentie. Chacun tente donc de se
« cacher sous les palmiers » et
de brouiller les pistes en rusant avec son propre destin autant qu'avec
la folie du dictateur et de ses séides. Les purs y perdront
une part de leurs illusions, les autres leur bonne
conscience ; un des
« comédiens » y perdra
la vie dans un combat sans espoir au côté d'une
poignée de rebelles haïtiens promis au sacrifice.
Jamais l'auteur ne juge ses personnages, et moins
encore les péripéties qui accablent le peuple
d'Haïti ; comme Mr et Mrs Smith, couple
américain généreusement
idéaliste, il invoque l'histoire pour saper la
critique : « à
Haïti, l'Histoire est une affaire de quelques
siècles et si nous faisons encore des erreurs au bout de
deux mille ans, ces gens n'ont-ils pas beaucoup plus le droit de faire
les mêmes erreurs et d'en tirer peut-être plus
d'enseignements que nous ne l'avons fait ? ».
Concasseur, le chef des tontons macoutes, est une brute sans
âme, Martha doit assumer le souvenir de son père,
un criminel de guerre nazi, et c'est un Haïtien, le docteur
Magiot, qui incarne au mieux les valeurs de l'humanisme
européen.
Dans la lettre à un ami qui tient lieu
de préface, Graham Greene affirme avoir écrit un
roman sans implication autobiographique ; mais, ajoute-t-il, « la
pauvre Haïti (…) et le gouvernement du docteur
Duvalier ne sont pas inventés, ce dernier n'est
même pas noirci pour l'effet dramatique. Impossible de rendre
une telle nuit plus sombre. Les tontons macoutes comptent beaucoup
d'hommes plus mauvais que Concasseur ; les
funérailles interrompues sont peintes d'après
nature ; maint Joseph chemine en boitant dans les rues de
Port-au-Prince, après son temps de torture, et, bien que je
n'aie jamais rencontré le jeune Philipot, j'ai connu
(…) des guérilleros aussi braves et aussi mal
entraînés que lui ».
Duvalier ne s'y est pas trompé ; en 1968, il fit
publier et diffuser dans ses ambassades européennes une
brochure (rédigée en français et en
anglais) visant à discréditer un auteur
qualifié de menteur, de crétin,
d'espion et même de tortionnaire
— dans ses mémoires 1, Graham Greene ne cache pas son
étonnement face à ce dernier trait.
1. |
« Les
chemins de l'évasion » trad. de l'anglais
par Robert
Louit, Paris : Robert Laffont (Pavillons), 1983 |
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EXTRAIT |
Très loin, en ville, nous
entendîmes des coups de feu.
— On tue quelqu'un, dis-je.
— Tu ne sais donc
pas ?
Deux nouveaux coups claquèrent.
— Je veux parler des exécutions.
— Non. Il y a
plusieurs jours que Petit Pierre n'est pas monté. Joseph a
disparu. Je suis privé de nouvelles.
— En
représailles pour l'attaque du poste de police, ils ont fait
sortir deux hommes de prison pour les fusiller dans le
cimetière.
— Dans le
noir ?
— C'est plus
impressionnant. Ils ont installé des lampes à arc
et une caméra de télévision. Tous les
enfants des écoles doivent y assister. Ordre de Papa Doc.
— Alors il faut que tu
laisses la foule des assistants se dissiper, dis-je.
— Oui. C'est tout ce
que cela signifie pour nous. Ce ne sont pas nos affaires.
— Non ; nous
n'aurions pas fait de très bons rebelles, toi et moi.
— Je ne crois pas que
Joseph y réussira non plus. Avec sa hanche
estropiée.
— Ou Philippot sans
son Bren. Je me demande s'il transporte Baudelaire dans sa poche
à portefeuille, pour arrêter les balles.
— Ne sois pas trop
sévère pour moi alors, dit-elle, parce que je
suis allemande et parce que les Allemands n'ont rien fait.
☐ pp. 353-354
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The
comedians », Londres : The Bodley Head, 1966
- « Les
comédiens » trad. de l'anglais par
Marcelle Sibon, Paris : Robert Laffont (Pavillons), 1966
- « Les
comédiens » trad. de l'anglais par
Marcelle Sibon,
Port-au-Prince : Ed. Henri Deschamps, 1993
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mise-à-jour : 15
août 2018 |
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