L'entretien qui suit, recueilli par Vianney Aubert,
a été publié dans
Le Figaro (jeudi 19 février 2004).

Médecin et écrivain haïtien, Jean Métellus est entré dans le monde des lettres quand on retrouva sur la table de nuit d'André Malraux, qui venait de mourir, son recueil de poèmes Au pipirite chantant.
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Jean Métellus, “ Anacaona ”, Paris, 2002
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Jean Métellus, “ Louis Vortex ”, Léchelle, 2003
Jean Métellus, “ Braises de la mémoire ”, Paris, 2009
Haïti (1) : Sélection de livres édités en Haïti
Haïti (2) : Sélection de livres édités hors d'Haïti
Site à la mémoire de Jean Métellus :
http://www.jeanmetellus.com/

« La France doit dire qu'il n'est plus possible de collaborer avec Aristide »

LE FIGARO. — Une nouvelle fois, Haïti est en proie au désordre et à la terreur. Comment en est-on arrivé là ?

Jean MÉTELLUS. — Ce qui arrive aujourd'hui est la continuation de ce qui se passe depuis le retour d'Aristide. Nous nous sommes trompés, je me suis trompé. J'avais écrit en 1990 qu'Aristide était le seul homme politique crédible mais cet homme aujourd'hui n'est plus le même. Quand il a été renversé par l'armée et qu'il s'est exilé aux Etats-Unis dans les années 90, il s'est métamorphosé complètement au point qu'il a demandé et obtenu un embargo sur le pays. C'était un acte très grave car l'embargo ne punissait pas les putschistes mais le peuple haïtien. Quand il est rentré au pays, grâce au soutien des Américains, ce n'était plus le même homme. J'en veux pour preuve qu'avant son départ, il signait Aristide Charlemagne Péralte, associant à son nom celui d'un résistant paysan qui avait été tué et crucifié par les Américains en 1919. Quand il est revenu, il a enlevé cette référence. Il est devenu un homme des Américains, sans conviction aucune. C'est un analphabète masqué, un homme qui sait parler plusieurs langues mais ne les utilise que pour impressionner et tromper le peuple, un conteur qui s'exprime par métaphore qui ne veulent rien dire.

Paris plaide pour l'envoi d'une force de paix. Est-ce une bonne solution ?

En tant que descendant d'esclave, cela m'est douloureux de parler de ça. Toute forme d'intervention militaire étrangère serait une nouvelle colonisation. Je crois que les grandes puissances ont les moyens de faire céder ce tyran, de faire pression pour que ce type cesse de tuer des gens, sans avoir recours à un embargo ni à une intervention. Il faut mettre en place des administrateurs civils haïtiens. Il y a des intellectuels haïtiens, des hommes de valeur qui ont enseigné dans des universités à Cuba, au Mexique ou en France, c'est avec eux que nous devons construire un gouvernement de transition. Si nous ne faisons pas appel à eux, nous courons à la dérive. Aujourd'hui, j'attends de la France qu'elle dise qu'il n'est plus possible de collaborer avec Aristide. Comment peut-on accepter de discuter avec quelqu'un qui a fait tuer des patients sur leur lit d'hôpital ?

Comment se fait-il qu'Haïti, qui fut la première nation noire à accéder à l'indépendance il y a deux cents ans, n'ait jamais réussi à sortir de la misère et du chaos politique ?

Je ne crois ni à une malédiction ni que les Haïtiens doivent en être tenus pour responsables. Nous ne sommes pas les seuls à avoir creusé cette tombe. Nous avons eu beaucoup de décollages ratés, et souvent à cause de l'intervention des puissances étrangères. Je vous citerai deux exemples. Quand Charles X négocia la reconnaissance d'Haïti, il imposa le paiement d'une indemnité faramineuse. Contraint d'emprunter, le jeune Etat s'épuisa tout au long du XIXe siècle à rembourser et ne put jamais se développer. Le deuxième coup dur se situe au début du XXe siècle. Après une période d'instabilité à la tête de l'Etat, les Etats-Unis en profitèrent pour mettre la main manu militari sur le stock d'or du pays et placer l'île sous tutelle pendant 19 ans de 1915 à 1934. Cette tutelle ne servit à rien, si ce n'est à mettre en place une armée capable de monter des coups d'Etat.

Vous dites cependant que « 1806 a fait d'Haïti un pays d'hommes concurrentiels ». Que veut dire cette expression ?

En 1806, Dessalines, ancien esclave, dont le corps conservait la trace des coups de fouet, devenu premier empereur d'Haïti, a été assassiné. Quand il a été tué, tout le monde pensait être chef. C'est encore ce qui se passe aujourd'hui avec Aristide.

Jean Métellus
propos recueillis par Vianney Aubert
© Le Figaro