Namasté /
Marcel Cabon. - Rose Hill : Ed. de l'océan Indien,
1981. - XII-83 p.-[8] f. d'ill. ; 20 cm.
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GÉRARD FANCHIN : Ce roman évoque l'histoire d'un jeune
paysan hindou, Ram, qui ayant hérité de son
oncle Shive une portion de terre […] entend la travailler,
la faire fructifier au prix de mille sacrifices et d'une
vie ascétique. C'est ainsi qu'est introduit le thème
du travail de la terre ou celui du bonheur
agreste. Ram, à l'inverse de ses confrères exploités
qui triment dans « l'enfer de la canne »
des propriétés sucrières, est un petit
propriétaire terrien (un petit planteur dirait-on
aujourd'hui), qui fait un travail librement consenti. Du coup
sont introduits le thème de la terre-salut (opposé
à la terre-malédiction) et le concept
d'une politique agricole : « la terre à celui
qui la travaille ».
Cet amour de Ram pour
la terre se confond avec l'amour d'une femme, Oumaouti,
sa compagne fidèle. Cette vision idyllique de la
paysannerie mauricienne comporte cependant des zones d'ombre.
Ram […] mène un combat épique contre une
terre rebelle (rêche), des aléas climatiques
défavorables, l'hostilité du voisinage, mais ce
Namasté, ce bonjour qu'il adresse quotidiennement
à son pire ennemi, finit par faire taire
les rancoeurs, la haine, et fait naître l'entraide,
la solidarité.
[…]
S'inscrivant dans la lignée
des grands romans paysans tiermondistes : « Diab-là »
(1945) de l'Antillais Zobel, et surtout, de « Gouverneur de la rosée »
du Haïtien Jacques Roumain, « Namasté »
est un des premiers romans à cerner la sensibilité
du paysan mauricien.
☐ Notre librairie, 114, juillet-septembre 1993 — “ Littérature Mauricienne ”
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JEAN-LOUIS JOUBERT : La personnalité rayonnante
de Marcel Cabon (1912-1972) pourrait symboliser le passage du
francotropisme flamboyant à la pluralité culturelle
assumée. Marcel Cabon n'a jamais renié son admiration
passionnée de la littérature française (en
particulier son goût pour la grâce d'écriture
de Francis Jammes ou Alain-Fournier). Mais pendant quarante ans,
de ses débuts littéraires en 1931 jusqu'à
sa mort, il a été comme le pivot de la littérature
mauricienne, généreux et toujours prêt à
épauler un confrère débutant, attentif à
toutes les idées, et surtout défricheur infatigable
d'une identité culturelle mauricienne, qu'il baptisait
mauricianisme et dont il proclamait la richesse, née de
la rencontre sur la même île des cultures les plus
diverses.
[…]
L'importance de Namasté
tient […] à ce que la publication du roman marque une
date dans l'histoire des relations entre la communauté
« créole » et la communauté
indienne de Maurice. Il s'agit en fait d'un acte de « reconnaissance ».
Jusqu'alors, les indiens romanesques (chez Charoux ou Arthur
Martial) étaient peints par les romanciers mauriciens
d'un point de vue dépréciateur, voire offensant
(il faudrait mettre à part L'Étoile et la clef,
de Loys Masson, mais le roman est écrit et publié
en France). Dans Namasté, Marcel Cabon, Mauricien
créole, exprime le mouvement de sympathie qui le porte
à tenter de comprendre, de l'intérieur, l'univers
mental des Indo-Mauriciens. Il ne les rejette pas dans l'extériorité
du pittoresque, mais il sait faire partager leur soif de terre
et d'enracinement, en même temps que leur nostalgie du
pays perdu (l'école fondée par Ram sert surtout
à raconter aux enfants les belles histoires tirées
des grandes épopées indiennes). Cette plongée
à l'intérieur du groupe indien de Maurice se fait
dans une langue émaillée de traits créoles,
de parlures indiennes, qui font partie du langage commun à
tous les Mauriciens. Façon de tisser, dans la trame plurielle
du texte, l'unité culturelle mauricienne que Cabon appelait
de ses vœux.
☐ « Littératures
de l'océan Indien », Vanves : Agence
universitaire de la francophonie - EDICEF, 1991 (Ch. 10
— Modernités mauriciennes : l'île plurielle)
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EXTRAIT |
Et tel était leur amour de
la terre qu'une grande joie leur gonflait le cœur quand les
cannes étaient mûres et que cent mille panaches
fleurissaient la plaine, comme l'armée d'un maharajah.
Ces cannes fleurissaient parce
qu'ils avaient défriché, pioché, sarclé,
dépaillé — comme l'esclave, jadis —,
parce qu'ils avaient donné leur sueur à cette terre
qui n'était pas à eux, dont pas une parcelle ne
serait peut-être à eux, malgré les rigueurs
auxquelles ils s'astreignaient, malgré ces travaux de
chaque heure et ce riz qu'ils se refusaient pour que le fils
eût une case à lui …
Oui, combien de ces hommes n'avaient
eu de terre (eux qui aimaient tant la terre !) que la fosse
où on les avait couchés dans le langouti de tous
les jours !
Mais y songeant et malgré
la peine qui lui brûlait le cœur de tous ses souvenirs,
Ram se disait que si chacun le voulait, une grande joie viendrait
à tous les enfants de l'île d'aller ensemble sur
les routes, de quelque sang qu'ils soient …
Les mauvais souvenirs, alors,
ne seraient plus peut-être qu'un peu de poussière
sous le pied …
☐ Deuxième partie, 4
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Namasté »,
Port Louis (Maurice) : Le Cabestan (The Royal Printing),
1965
- « Namasté »,
in Océan Indien
éd. par Serge Meitinger et J.-C. Carpanin Marimoutou,
Paris : Omnibus, 1998
| - « Diptyque »,
Port Louis (Maurice) : General printing and stationery Co.,
1935
- « Kélibé-Kéliba »,
Port Louis (Maurice) : Saint Louis (Maurice) : Ed.
Sammer, 1956 ; Port Louis (Maurice) : Croix du Sud,
s.d.
- « Rémy Ollier »,
Port Louis (Maurice) : Ed. Mauriciennes, 1964
- « Laurent Rivet »,
Port Louis (Maurice) : Ed. Mauriciennes, 1966
- « Le rendez-vous
de Lucknow », Port Louis (Maurice) : The Mauritius
printing Cy, 1966
- « Beau-Bassin, petite
ville », Port Louis (Maurice) : Club mauricien
du livre français, 1971
- « Michel Darmon,
poste restante », Port Louis (Maurice) : Club
mauricien du livre français, 1971
- « Brasse au vent »,
Rose Hill (Maurice) : Ed. de l'océan Indien, 1989
- « Contes, nouvelles
et chroniques » éd. par Aslakha Callikan-Proag,
Rose Hill (Maurice) : Ed. de l'océan Indien, 1995
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mise-à-jour : 16 février 2006 |
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