Souvenirs de voyages constellés d'îles — Rhodes dans Printemps d'île, la Sicile dans La Coquille d'or, Korcula, Otok, Vrnik, Hvar (Lesina) dans Séjour dalmate, les îles du Cap-Vert, Fernando-de-Noronha, les Canaries et les Açores dans le Voyage atlantique qui donne son titre au recueil, îles et îlots du littoral norvégien dans Myrdun où sont également évoqués certains caractères mélancoliques qu'en aucun point de notre sol on ne trouvera plus prononcés que sur l'île d'Heligoland (Myrdun, p. 248).

Ici et là, Jünger s'intéresse aux formes et aux traces de vie, aussi ténues soient-elle en apparence : le sillage d'une barque, le vol d'un insecte, le plumage d'un oiseau : on reconnaît l'oiseau aux plumes qu'il porte. « Je suis un chevalier du soleil, de la forêt, des landes arides, du croissant lunaire. » Ici, on ne doit pas s'enquérir des fins — il y a une jouissance primordiale à montrer ce que l'on est (La Coquille d'or, p. 57).

En vue des îles dalmates, Jünger s'émerveille de l'intuition d'Hölderlin qui, loin des parages où s'ébattent les dauphins, sut reconnaître dans sa plus secrète signification, l'impérissable beauté du monde des îles (Séjour dalmate, p. 98).

EXTRAITS

À bord, 22 avril 1938. Au point du jour, les Sporades s'offraient à la vue — en tel nombre qu'elles formaient souvent un anneau bouclant presque le tour de l'horizon. Restés assez longtemps à quai devant Leros, malheureusement, et bien que la ville soit sous nos yeux, sans pouvoir débarquer. Les militaires de l'île en sont à ce point jaloux qu'on n'est pas même autorisés à la regarder avec des jumelles. Pense à Rivarol : « Dans tous les États, on vit plus à l'étroit dans les villes frontières que dans celles de l'intérieur ; la sécurité passe ainsi avant la liberté. » En ce sens, nous sommes tous aujourd'hui des frontaliers. ☐ Printemps d'île, p. 17 À bord, 30 novembre 1936. […] Sous l'empire de la mer, nous sentons notre être s'épancher, se défaire ; tout ce qui est rythmique en nous vient à s'animer, accords, cadences, mélodies, le chant primordial de la vie qui se berce sur les âges. C'est ainsi qu'après des jours de nonchaloir sur la plage, nous nous en retournons entièrement vides, heureux pourtant comme après les danses de toute une nuit. Les îles promettent en revanche le bonheur plus profond du calme, de la paix au milieu de cet élément de part en part agité des tempêtes. Et les étoiles aussi, qui pareillement sont des îles dans un océan d'éther et de lumière. ☐ Voyage atlantique, pp. 167-168 Eidsbygda, 29 juillet 1935. […] Pour base d'opération, nous avons choisi l'Eidsholm, une petite île qu'on peut rejoindre à la nage ou en bateau. Comme presque toutes, elle se présente telle un bouquet vert foncé de mousses, d'arbustes et de bois taillis se dressant sur un socle de granit parfaitement lisse. Quelques hérons, qui nichent dans les petits sapins, en sont les seuls habitants. À nous de faire attention quand nous approchons pour aborder, car, sans recevoir l'intrus à la flèche comme les oiseaux du lac Stymphale, ils savent fort bien en revanche le blanchir d'une mordante flaquée. Je les vois souvent, pêchant sur les hauts-fonds, qui d'un air réfléchi observent longement les algues avant de donner leur expéditif coup de bec. Avec leur plumage gris cendré marqué de noir et leur port héraldique, ils offrent une vivante image de la mélancolie distinguée. Le cri est dolent et rauque, il s'accompagne parfois de la plainte plus douce et presque langoureuse du pluvier. Sur les cailloux de granit qui entourent l'îlot s'attroupent aussi, en grande animation, des mouettes, des guillemots et autres oiseaux de mer. ☐ Myrdun, pp. 211-212