L'île
/ Meša Selimović ; traduit du serbo-croate (Serbie) par
Alain Cappon. - Paris : Phébus, 2013. - 206 p. ;
21 cm. - (Littérature étrangère). ISBN 978-2-7529-0587-1
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| Ici, à deux pas de la mer, étincelante l'été, grise et morne l'hiver, ils vivent tous les deux, depuis des années, une succession d'années par trop longue, ils auraient pu oublier tous les événements survenus, car ils datent de loin, mais ils n'ont pas oublié, voués qu'ils sont au souvenir.
Exil, p. 7 |
Recueil de nouvelles pour certains, roman pour son auteur : dans L'île
se suivent de brefs récits où un homme et une femme qui
ont atteint l'âge de la retraite tentent de vivre dans la
précarité et l'angoisse d'un monde rude. La chronologie
n'ordonne pas l'enchaînement des récits, mais la
discontinuité dans le cours des événements fait
émerger avec une force accrue d'autres facteurs de
cohésion. Des pans de vie s'éclairent, des espoirs ou des
peurs se font écho ; Ivan et Katarina s'interrogent sur les
enjeux qui donnent sens à la vie, et souvent déchantent
face aux réponses qui tombent comme autant de sentences,
dérisoires ou sinistres.
Une jeune femme prend son bain
dans une crique discrète ; une troupe de chevaux sauvages
court librement sur les hauteurs de l'île ; des dauphins
jouent dans l'eau calme d'une anse. Mais au premier regard
extasié succède une chute, triviale parfois ou lourdement
douloureuse : la jeune femme attend un amant venu du
continent ; les chevaux sont promis à l'abattage ; la danse magnifique des dauphins n'est pas une parade nuptiale mais une manœuvre de chasse — le jeu de la vie et de la mort.
Cette
toile sombre s'éclaire pourtant d'éclats qui contiennent
le risque du désespoir. Si la mort rôde sans répit,
la vie parvient avec non moins de constance à se frayer des
voies nouvelles. À chaque danger esquivé peut faire suite un jour ordinaire.
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EXTRAIT |
Il se tient dans l'eau stagnante. Et
songe, nonchalamment : la mer, chemin sans obstacles, route sans
frontières, mère de la latitude, père du libre
vagabondage.
Prendre la mer et partir dans l'inconnu. Un jour. Abandonner cette falaise de pierre brûlante sur laquelle même le lézard expire, et cette herbe solide, grillée, sans suc, autour de laquelle seules les couleuvres s'enroulent, et cette vilaine masure où la joie se meurt, et ce coin mort où il n'est nulle noblesse, ni amour, ni même désir. Je ne me transformerai pas en pierre cendrée.
Il s'est avancé dans un haut-fond, et s'arrête saisi par la mer jusqu'aux chevilles. Un jour je partirai.
Où ? N'importe où.
Quand ? Jamais.
Dès
que le diable de l'exactitude en vient à murmurer des questions
bien précises, l'imagination cesse. Demeure la tristesse. Demeure la vie autour de nous. Le
mauvais temps se préparait quelque part dans les lointains, dans
les hauteurs, dans les profondeurs, quel dommage s'il évitait
l'île, qu'au moins la chaleur étouffante baisse, qu'au
moins il se passe quelque chose !
☐ Exaltation, pp. 18-19 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Ostrvo », Beograd : Prosveta, 1974
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mise-à-jour : 13 décembre 2013 |
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