Gilles Deleuze

L'île déserte et autres textes, textes et entretiens 1953-1974, édition préparée par David Lapoujade

Les Éditions de Minuit

Paris, 2002
bibliothèque insulaire
   
îles désertes
parutions 2002
L'île déserte et autres textes [textes et entretiens 1953-1974] / Gilles Deleuze ; éd. préparée par David Lapoujade. - Paris : Éd. de Minuit, 2002. - 416 p. ; 22 cm. - (Paradoxe).
ISBN 2-7073-1761-6

Deleuze n'a que vingt-sept ans quand il écrit ce texte 1, resté inédit, pour un numéro spécial consacré aux îles désertes du magazine Nouveau Fémina. Il y oppose les îles continentales, accidentelles, dérivées, aux îles océaniques, originaires, essentielles : “ tout ce que nous disait la géographie sur [ces] deux sortes d'îles, l'imagination le savait déjà […]. L'élan de l'homme qui l'entraîne vers les îles reprend le double mouvement qui produit les îles en elles-mêmes. Rêver des îles, avec angoisse ou joie peu importe, c'est rêver qu'on se sépare, qu'on est déjà séparé, loin des continents, qu'on est seul et perdu  ou bien c'est rêver qu'on repart à zéro, qu'on recrée, qu'on recommence. Il y avait des îles dérivées, mais l'île, c'est aussi ce vers quoi l'on dérive, et il y avait des îles originaires, mais l'île, c'est aussi l'origine, l'origine radicale et absolue ”.

Au fil de la réflexion, Deleuze évoque Robinson Crusoe qui, à ses yeux, “ développe la faillite et la mort de la mythologie dans le puritanisme ”, et la Suzanne de Giraudoux : “ Avec elle l'île déserte est un conservatoire d'objets tout faits, d'objets luxueux. […] Mais avec Suzanne la mythologie meurt encore, d'une manière parisienne il est vrai. Suzanne n'a rien à recréer, l'île déserte lui donne le double de tous les objets de la ville, de toutes les vitrines de magasins, double inconsistant séparé du réel puisqu'il ne reçoit pas la solidité que les objets prennent ordinairement dans les relations humaines au sein des ventes et des achats, des échanges et des cadeaux. C'est une jeune fille fade ; ses compagnons ne sont pas Adam, mais de jeunes cadavres, et quand elle retrouvera les hommes vivants, elle les aimera d'un amour uniforme, à la manière des curés, comme si l'amour était le seuil minimum de sa perception ”.

L'échec — la faillite — de Robinson et de Suzanne n'est pas irrémédiable. Ils portent une leçon à laquelle s'attache Deleuze ; avec eux, sur leurs traces, nous pouvons “ revenir au mouvement de l'imagination qui fait de l'île déserte un modèle, un prototype de l'âme collective ”. En développant l'idée qu'accidentelles ou originelles les îles sont toujours le lieu d'une séparation, Deleuze les érige en pôle d'une seconde naissance, d'une re-naissance toujours possible : “ Il y a dans l'idéal du recommencement quelque chose qui précède le commencement lui-même, qui le reprend pour l'approfondir et le reculer dans le temps. L'île déserte est la matière de cet immémorial ou ce plus profond ”.
       
1. « Causes et raisons des îles désertes » occupe 7 pages sur les 416 que compte le recueil.

ROGER-POL DROIT : Vous n'avez sans doute jamais réfléchi à ce qu'est une île. Vous n'y avez peut-être jamais vu, bêtement, qu'un bout de terre. Alors que seule importe l'eau, l'étendue autour, la séparation qui constitue l'île comme lieu sans lien. Dans le texte, inédit et très beau, qui ouvre ce recueil, Deleuze accélère à sa manière cette séparation, finissant par montrer qu'en un sens toute île est déserte. Quand bien même elle est habitée. Les hommes vivant sur l'île deviennent la conscience de sa séparation. Mais il ne suffit pas encore de mettre en mouvement, l'un par l'autre, la géographie et l'imaginaire. Il faut encore intensifier le mouvement, considérer les romans consacrés aux îles comme des manières de mettre en scène le psychisme, en venir à cette définition inattendue : “ La littérature est le concours des contresens que la conscience opère naturellement et nécessairement sur les thèmes de l'inconscient ; comme tout concours elle a ses prix ”.

Le Monde des livres, 8 mars 2002

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Desert islands, and other textes 1953-1974 » ed. by David Lapoujade and translated by Michael Taormina, Los Angeles : Semiotext(e), 2004

mise-à-jour : 8 février 2017
Gilles Deleuze : L'île déserte et autres textes
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