Daniel Defoe

Vie et aventures de Robinson Crusoé

P.O.L - La Collection

Paris, 1993

bibliothèque insulaire

   
îles désertes
Vie et aventures de Robinson Crusoé / Daniel Defoe ; traduit de l'anglais par Pétrus Borel ; précédé de Les compagnons de Robinson, par Michel Butor. - Paris : P.O.L, 1993. - XXV-350 p. ; 18 cm. - (La Collection).
ISBN 2-86744-369-5
Depuis la publication de Robinson Crusoe à Londres en 1719, les éditions nouvelles, traductions et adaptations se comptent par milliers ; et les commentaires, analyses ou interprétations, les prolongements, variations, détournements ou réfutations ne sont pas moins nombreux. Ce qui suit a pour seul objectif d'illustrer la diversité des regards portés sur l'œuvre ; d'autres choix, ni plus ni moins pertinents, sont concevables à l'infini.

L'édition retenue pour cette présentation bénéficie d'une éclairante introduction de Michel Butor, Les compagnons de Robinson (pp. I-XXV).
JORGE LUIS BORGES Daniel Defoe énumère les tourments, les délivrances, le régime, les capuchons et les parapluies en peau de chèvre, les monologues pieux, les imprévisions, les entreprises navales et argileuses, et même les rêves de Robinson Crusoé ; mais il ne nous dit rien de ses plaisanteries ni de ses éventuels éclats de rire face à la mer océane. S'agissant d'un historien aussi scrupuleux, il y a tout lieu de penser qu'il n'y eut rien de tout cela.

Une possible défense de Mark Twain, in « Œuvres Complètes I », Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1993
PATRICK CHAMOISEAU C'est triste : le Robinson de Defoe était un négrier.

L'atelier de l'empreinte (chutes et notes), in « L'empreinte à Crusoé », Paris : Gallimard, 2012
GILBERT K. CHESTERTON Robinson Crusoé est un homme sur un îlot rocheux avec quelques rares objets arrachés à la mer. Le plus beau du livre est un inventaire. Chaque ustensile de cuisine devient idéal parce que Robinson aurait pu le laisser tomber dans la mer. C'est un excellent exercice que de regarder, aux heures vides ou laides du jour, n'importe quoi : le seau à charbon ou la bibliothèque et de songer à notre bonheur si nous les avions sauvés du naufrage et ramenés sur l'île solitaire. Mais il est un meilleur exercice encore : nous rappeler que tout ce qui existe a échappé d'un cheveu à une catastrophe ; tout a été sauvé d'un naufrage.

Les éthiques au Royaume des Elfes, in « Orthodoxie », Paris : Gallimard (Idées), 1984
SAMUEL TAYLOR COLERIDGE In that exquisite story of Cupid and Psyche, the allegory is of no injury to the dramatic vividness of the tale. It is evidently a philosophic attempt to party Christianity with a quasi-Platonic account of the fall and redemption of the soul.
The charm of De Foe's works, especially of Robinson Crusoe, is founded on the same principle. It always interests, never agitates. Crusoe himself is merely a representative of humanity in general ; neither his intellectual nor his moral qualities set him above the middle degree of mankind ; his only prominent characteristic is the spirit of enterprise and wandering, which is, nevertheless, a very common disposition. You will observe that all that is wonderful in this tale is the result of external circumstances — of things which fortune brings to Crusoe's hand.


Miscellaneous criticism, ed. by Thomas Middleton Raysor (1936)
JAMES JOYCE Un type pourrait vivre tout seul toute sa vie. Oui, il pourrait. Jusqu'au jour où il aurait besoin de quelqu'un pour le descendre une fois mort dans le trou qu'il aurait encore pu creuser tout seul. Nous en sommes tous là. Il n'y a que l'homme qui enterre. Non, les fourmis aussi. La première pensée qui vient à n'importe qui. Enterrer les morts. On dit que Robinson Crusoé représentait la vie dans sa vérité. Eh bien Vendredi l'a enterré. Chaque vendredi enterre un jeudi si on y réfléchit.
Ô mon pauvre Robinson Crusoé
Même pour toi il a fallu creuser !

Hadès, trad. Patrick Drevet, in « Ulysse », Paris : Gallimard, 2004
KARL MARX Puisque l’économie politique aime les Robinsonades, visitons d’abord Robinson dans son île.

Modeste, comme il l’est naturellement, il n’en a pas moins divers besoins à satisfaire, et il lui faut exécuter des travaux utiles de genre différent, fabriquer des meubles, par exemple, se faire des outils, apprivoiser des animaux, pêcher, chasser, etc. De ses prières, et autres bagatelles semblables nous n’avons rien à dire, puisque notre Robinson y trouve son plaisir et considère une activité de cette espèce comme une distraction fortifiante. Malgré la variété de ses fonctions productives, il sait qu’elles ne sont que les formes diverses par lesquelles s’affirme le même Robinson, c’est-à-dire tout simplement des modes divers de travail humain. La nécessité même le force à partager son temps entre ses occupations différentes. Que l’une prenne plus, l’autre moins de place dans l’ensemble de ses travaux, cela dépend de la plus ou moins grande difficulté qu’il a à vaincre pour obtenir l’effet utile qu’il a en vue. L’expérience lui apprend cela, et notre homme qui a sauvé du naufrage montre, grand livre, plume et encre, ne tarde pas, en bon Anglais qu’il est, à mettre en note tous ses actes quotidiens. Son inventaire contient le détail des objets utiles qu’il possède, des différents modes de travail exigés par leur production, et enfin du temps de travail que lui coûtent en moyenne des quantités déterminées de ces divers produits. Tous les rapports entre Robinson et les choses, qui forment la richesse qu’il s’est créée lui-même, sont tellement simples et transparents que M. [Henri] Baudrillart pourrait les comprendre sans une trop grande tension d’esprit. Et cependant toutes les déterminations essentielles de la valeur y sont contenues.


Le capital, Première section, Chapitre IV, traduction française de Joseph Roy revue par l'auteur
MARTHE ROBERT Parti en Don Quichotte insurgé contre la réalité et promis d'avance à de continuels désastres, Robinson est le rescapé du rêve de mort où l'entraîne irrésistiblement la misère intérieure de sa jeunesse, aussi son naufrage donquichottesque le conduit-il à planter son idéal sur une île bien terrestre, où il trouve le moyen non seulement d'assurer sa survie, mais encore de changer l'utopie elle-même en une affaire très rentable. Et au lieu de rentrer chez lui en vaincu forcé de se renier lui-même et d'avouer sa défaite, comme le fait le triste Chevalier, il revient en homme puissant, bien portant, sûr de lui, prêt à s'établir de ce côté-ci des choses pour l'édification de tous les parvenus.

Robinsonnades et donquichotteries, in « Roman des origines et origines du roman », Paris : Gallimard (Tel), 2004
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Puisqu'il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d'éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon Émile ; seul il composera durant longtemps toute sa bibliothèque, et il y tiendra toujours une place distinguée. Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaires. Il servira d'épreuve durant nos progrès à l'état de notre jugement ; et, tant que notre goût ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? est-ce Pline ? est-ce Buffon ? Non ; c'est Robinson Crusoé.
Robinson Crusoé dans son île, seul, dépourvu de l'assistance de ses semblables et des instruments de tous les arts, pourvoyant cependant à sa subsistance, à sa conservation, et se procurant même une sorte de bien-être, voilà un objet intéressant pour tout âge, et qu'on a mille moyens de rendre agréable aux enfants.

« Émile, ou De l'éducation » (Livre III), Paris : Flammarion (GF), 2009
EDWARD SAID Robinson Crusoe is virtually unthinkable without the colonizing mission that permits him to create a new world of his own in the distant reaches of the African, Pacific, and Atlantic wilderness.

Consolidated vision, in « Culture and imperialism », New York : Alfred A. Knopf, 1993
SAINT-JOHN PERSE
LES CLOCHES

   Vieil homme aux mains nues,
   remis entre les hommes, Crusoé !
   tu pleurais, j'imagine, quand des tours de l'Abbaye, comme un flux, s'épanchait le sanglot des cloches sur la ville …
   Ô Dépouillé !
   Tu pleurais de songer aux brisants sous la lune ; aux sifflements de rives plus lointaines ; aux musiques étranges qui naissent et s'assourdissent sous l'aile close de la nuit,
   pareilles aux cercles enchaînés que sont les ondes d'une conque, à l'amplification de clameurs sous la mer …

Images à Crusoé, in « Œuvres complètes », Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1989
DEREK WALCOTT
Upon this rock the bearded hermit built
His Eden :
Goats, corn crop, fort, parasol, garden,
Bible for Sabbath, all the joys
But one
Which sent him howling for a human voice.

Crusoe's island, in « The castaway, and other poems », London : Jonathan Cape, 1965
VIRGINIA WOOLF It is, we know, the story of a man who is thrown, after many perils and adventures, alone upon a desert island. The mere suggestion — peril and solitude and a desert island — is enough to rouse in us the expectation of some far land on the limits of the world ; of the sun rising and the sun setting ; of man, isolated from his kind, brooding alone upon the nature of society and the strange ways of men. Before we open the book we have perhaps vaguely sketched out the kind of pleasure we expect it to give us. We read ; and we are rudely contradicted on every page. There are no sunsets and no sunrises ; there is no solitude and no soul. There is, on the contrary, staring us full in the face nothing but a large earthenware pot.

Robinson Crusoe, in « The common reader » Second series, London : The Hogarth press, 1932
EXTRAIT J'ignorais encore où j'étais. Était-ce une île ou le continent ? Était-ce habité ou inhabité ? Étais-je ou n'étais-je pas en danger des bêtes féroces ? À un mille de moi au plus, il y avait une montagne très haute et très escarpée qui semblait en dominer plusieurs autres dont la chaîne s'étendait au nord. Je pris un de mes fusils de chasse, un de mes pistolets et une poire à poudre, et armé de la sorte je m'en allai à la découverte sur cette montagne. Après avoir, avec beaucoup de peine et de difficulté, gravi sur la cime, je compris, à ma grande affliction, ma destinée, c'est-à-dire que j'étais dans une île au milieu de l'Océan, d'où je n'apercevais d'autre terre que des récifs fort éloignés et deux petites îles moindres que celle où j'étais, situées à trois lieues environ vers l'ouest.

Je reconnus aussi que l'île était inculte, et que vraisemblablement elle n'était habitée que par des bêtes féroces ; pourtant je n'en apercevais aucune ; mais en revanche, je voyais quantité d'oiseaux dont je ne connaissais pas l'espèce. Je n'aurais pas même pu, lorsque j'en aurais tué, distinguer ceux qui étaient bons à manger de ceux qui ne l'étaient pas. En revenant, je tirai sur un gros oiseau que je vis se poser sur un arbre, au bord d'un grand bois ; c'était, je pense, le premier coup de fusil qui eût été tiré en ce lieu depuis la création du monde.

p. 61
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « The life and strange surprizing adventures of Robinson Crusoe, of York, mariner (…) », London : W. Taylor, 1719
  • « La vie et les avantures surprenantes de Robinson Crusoe (…) » trad. de l'anglois [par Th. de Saint-Hyacinthe et J. Van Effen, Amsterdam : L'Honoré et Chatelain, 1720
  • « Vie et aventures de Robinson Crusoé » trad. de Pétrus Borel, Paris : Francisque Borel et Alexandre Varenne, 1836
  • « Vie et aventures de Robinson Crusoé » trad. de Pétrus Borel, introduction, notes, bibliographie et chronologie par Serge Soupel, Paris : Flammarion (GF, 551), 2009
  • « Robinson Crusoé » trad. par Françoise du Sorbier, Paris : Albin Michel, 2012
  • « Robinson Crusoé » trad. de Pétrus Borel, éd. de Baudouin Millet, ill. de F.-A.-L. Dumoulin, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2018
  • Captain Charles Johnson, « A general history of the pyrates », London : T. Woodward, 1728 — la majorité des commentateurs attribuent l'œuvre à Daniel Defoe 

mise-à-jour : 25 octobre 2022

ill. de l'édition originale (Londres, 1719)
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