Le Rouge et le noir
/ Stendhal ; présenté par Roger Nimier. -
Paris : Librairie générale française, 1963.
- 512 p. ; 17 cm. - (Le Livre de poche, 357-358).
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Dans Les Hommes de paille
(The Mimic men), Naipaul met en scène les aller-retour
d'un jeune Indien de la Caraïbe entre son île natale
et l'Europe — confrontation rude, parfois fructueuse, de
deux univers. Au cœur d'une discussion surgit ainsi une évocation
du roman de Stendhal, plus précisément du moment
crucial où, enfin, Julien vient à bout des réticences
de Mathilde … Ce que retient Naipaul est l'allusion, surprenante
ici, à un « bout de dialogue en français
créole ».
Non moins surprenante est la
conclusion qu'en tire le narrateur : « Je parvenais
à croire à l'existence d'un lien entre notre île
et le vaste monde ».
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V.S. NAIPAUL |
Nous avions étudié
Le Rouge et le Noir en première. Je n'avais pas
aimé ce livre. J'avais trouvé la langue peu raffinée
et l'intrigue m'était apparue simplette et irréelle,
plus proche d'un conte de fées que d'une histoire de vraies
personnes. Je m'en ouvris à M. Deschampsneufs.
— Oui, sans doute est-ce
l'effet que cela nous fait ici. Nous n'avons pas de marquises
et ainsi de suite chez nous, ni rien qui ressemble à cette
société-là. Et nous ne pouvons pas comprendre
ce qui guide un homme comme Julien ou le marquis de la Mole.
Mais n'importe, il paraît que c'est un grand livre.
[…]
— […] Vous avez l'histoire en tête ? Vous
vous rappelez le moment où Julien grimpe une nuit dans
la chambre de Mlle de la Mole ? [...] Julien vient de faire
tomber l'échelle et la corde sur les plate-bandes. Vous
vous rappelez ?
— C'était justement cela, le côté
conte de fées que je n'appréciais pas.
— Oui, oui.
— M. Deschampneufs se mit à lire avec l'accent
appuyé qui convenait :
— « Et comment moi m'en aller ?
dit Julien d'un ton ton plaisant, et en affectant la langue créole. »
Evidemment, vous voyez, ce Beyle nous place une référence
au français créole. Sans la moindre raison. C'est
un tournant important de son roman, et il s'amuse à faire
une chose pareille. Puis il ajoute, entre parenthèses,
notez bien : « (Une des femmes de chambre
de la maison était née à Saint Domingue.) — Vous,
vous en aller par la porte, dit Mathilde ravie de cette idée. »
Sans la moindre raison. Ce bout de dialogue en français
créole. Rien que pour le plaisir d'un petit gag intime. […]
J'étais vivement impressionné.
Il me semblait que M. Deschampsneufs avait rapproché de
nous le passé. Je parvenais à croire à l'existence
d'un lien entre notre île et le vaste monde.
☐ « Les hommes de
paille », Paris : 10/18 (Domaine étranger,
2900), 1997 (IIe partie, ch. 6, pp. 230-231)
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EXTRAIT |
L'échelle toucha terre,
Julien parvint à la coucher dans la plate-bande de fleurs
exotiques le long du mur.
— Que va dire ma mère,
dit Mathilde, quand elle verra ses belles plantes tout écrasées ! …
Il faut jeter la corde, ajouta-t-elle d'un grand sang froid.
Si on l'apercevait remontant au balcon, ce serait une circonstance
difficile à expliquer.
— Et comment moi m'en aller ? dit Julien d'un
ton plaisant, et en affectant le langage créole. (Une
des femmes de chambre de la maison était née à
Saint-Domingue.)
— Vous, vous en aller par la porte, dit Mathilde ravie
de cette idée.
Ah ! que cet homme est digne de tout mon amour ! Pensa-t-elle.
☐ « Le Rouge et le noir »,
Seconde partie, Ch. XVI
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - Stendhal, « Le Rouge
et le noir : chronique du XIXe siècle »,
Paris : A. Levavasseur, 1831
| - V.S. Naipaul, « Les Hommes de paille » trad. de l'anglais par Suzanne Mayoux, Paris : Christian Bourgois,
1991 ; 10/18 (Domaine étranger, 2900), 1997 ; Paris : Grasset (Les Cahiers rouges), 2014
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mise-à-jour : 28 octobre 2005 |

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