Et si
on arrêtait de faire semblant ? / Jonathan Franzen ;
trad. de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis. - Paris :
L'Olivier, 2020. - 348 p. ; 22 cm. ISBN 978-2-8236-0012-4
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Les
textes réunis dans cet ouvrage datent pour le plus ancien de
2001 et, pour le plus récent, de 2019. Ces essais, articles ou
conférences expriment la sensibilité environnementale
d'un citoyen des Etats-Unis d'Amérique, ses interrogations sur
le réchauffement climatique — causes et
conséquences —, et sur la responsabilité de
l'homme dans le déclin des règnes animal et
végétal.
L'auteur s'est découvert une
attirance particulière pour le monde des oiseaux ; il se
présente, non sans ironie, en disciple de saint François
d'Assise. Plus militant qu'ornithologue, il court le monde pour un
état des lieux ; c'est ainsi qu'il décrit la
situation critique du bassin méditerranéen où,
sous couvert de traditions ancestrales, se perpétue un
gigantesque massacre d'espèces migratrices : en Egypte, en
Albanie, en Italie mais également à Chypre ou à
Malte — la seule note optimiste concerne la Sicile où
Jonathan Franzen relève l'action tenace d'une
“ croisée célèbre, Anna
Giordano ” grâce à qui l'île
“ demeure pour ainsi dire libre de tout
braconnage ”.
L'enquête se poursuit jusqu'aux
confins de l'Antarctique où le fardeau de la présence
humaine est plus léger : en Géorgie du Sud ou aux
Shetland du Sud le bilan semble moins désespérant qu'en
Europe ou en Chine, au prix souvent de campagnes d'éradication
de prédateurs presque aussi dangereux que l'homme (chats, rats
ou … souris) — mais l'espoir est
fragile : “ les oiseaux marins nichent sur des
îles lointaines et peu accueillantes, et passent l'essentiel de
leur vie dans des eaux qui nous sont inhospitalières. S'ils
disparaissent totalement, qui le remarquera ? ”
Ailleurs la réflexion environnementaliste croise opportunément le souvenir de Robinson Crusoe
près du lieu où Alexander Selkirk, son modèle
présumé, a été abandonné à
lui-même. Jonathan Franzen a passé quelques jours sur
l'île de Masafuera dans l'espoir d'apercevoir “ l'un
des oiseaux chanteurs les plus rares du monde, le Synallaxe de
Masafuera ”. Rencontre impossible ! Mais à
l'évocation du personnage créé par Daniel Defoe
s'ouvrent de nouveaux champs de réflexion, de nouvelles
interrogations : Defoe “ nous a donné le premier
portrait réaliste de l'individu radicalement isolé, et
ensuite, comme poussé par une vérité romanesque,
il nous a montré combien l'individualisme radical est en
réalité malsain et insensé ”. ❙ | Né
en 1959, Jonathan Franzen a passé son enfance dans une
banlieue de Saint Louis (Missouri). Après des études en
Pennsylvanie et à Berlin, il a travaillé comme assistant
chercheur en géologie au Laboratoire de sismologie de
l'Université d'Harvard. Il est l'auteur de romans et d'essais
traduits dans de nombreux pays et a reçu de prestigieux prix
littéraires dans son pays. |
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FLORENT GEORGESCO : […]
La lecture de Robinson
en pleine robinsonade promettait d’être savoureuse, mais
pourquoi quitter Manhattan si c’est pour enfiler des
généralités sur “ notre île
existentielle à nous ” […] ? Pourquoi
consacrer tant de pages à avertir, avec force raisons, bien
entendu, contre la destruction des oiseaux, mais ne jamais les regarder
vivre, bouger, s’individualiser, comme si eux aussi
étaient des généralités ?
[…]
☐ Le Monde, 6 septembre 2020 [en ligne] | PHILIPPE LANÇON :
L’île Robinson Crusoe se trouve dans le Pacifique Sud,
à 600 km des côtes chiliennes. On l’appelle
aussi Más a Tierra (“ plus près de la
terre ”). Il en existe une autre, 180 km à
l’ouest, d’un relief plus escarpé, d’un climat
plus hostile et où quasiment nul ne vit, qu’on appelle
Más Afuera (“ plus
éloignée ”). On l’a également
baptisée Alexander Selkirk, du nom du marin écossais dont
la vie servit de modèle à Daniel Defoe pour imaginer le
personnage de Robinson. Selkirk vécut de 1704 à 1709,
dans une complète solitude, non pas sur l’île qui
porte aujourd’hui son nom, mais sur celle, plus vivable, qui
porte le nom du personnage de fiction qu’il inspira.
Ce
détail semble là pour rappeler que les liens entre
réalité et fiction ne sont jamais simples ni
étanches. Ils sont d’autant plus attirants et
inquiétants qu’ils se développent, comme Alexander
Selkirk sur son île, comme Robinson Crusoé sur la sienne,
dans le plus grand isolement. Jonathan Franzen les explore dans L’île de la solitude,
récit autobiographique de 35 pages qui, à lui seul,
console de l’angoisse et de la solitude dans lesquelles il nous
est plus que jamais donné de vivre.
[…]
☐ Charlie Hebdo, 1474, 21 octobre 2020 [en ligne] |
EXTRAIT |
Exactement à la moitié de Robinson Crusoé, alors
que Robinson est seul depuis quinze ans, il découvre une
empreinte de pied humain sur la plage et devient littéralement
fou de peur. Arrivé à la conclusion que cette empreinte
n'est ni la sienne ni celle du Diable, mais plutôt celle d'un
intrus cannibale, il transforme son île-jardin en forteresse, et
pendant plusieurs années il ne pense guère qu'à se
cacher et à repousser des envahisseurs imaginaires. Il
s'étonne de l'ironie de la situation :
Moi,
dont la seule affliction était de me voir banni de la
société humaine, seul, entouré par le vaste
Océan, retranché de l'humanité et condamné
à ce que j'appelais une vie silencieuse ; […] moi,
dis-je, je tremblais à la seule idée de voir un homme, et
j'étais près de m'enfoncer sous terre à cette
ombre, à cette apparence muette qu'un homme avait mis le pied
dans l'île !
La psychologie
de Defoe n'a été nulle part plus aigüe que dans son
imagination de la réaction de Robinson à la rupture de sa
solitude.
☐ p. 54 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Farther away », New York : Farrar, Straus and Giroux, 2012
- « The end of the end of the earth », New York : Farrar, Straus and Giroux, 2018
- « What if we stopped pretending ? », The New Yorker, September 8, 2019
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mise-à-jour : 13 novembre 2020 |
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