Le texte qui suit,
reproduit dans son intégralité,
a été publié dans
Le Monde (Dimanche 24 - Lundi 25 novembre 2019).

Dire “ ceci est à moi ”, en dépit de la géographie, de l’histoire et du droit international est bel et bien une “ idée creuse ”, voire une provocation, comme cela est perçu par les Malgaches.
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regards sur Madagascar
J.M.G. Le Clézio, “ Le retour au pays des peuples déplacés est un droit fondamental ”, Le Monde, 2-3 Juillet 2017

Philippe Disaine Rakotondramboahova

Sur les îles Eparses, la France ne respecte ni l'histoire ni le droit international


Pour l’avocat Philippe Disaine Rakotondramboahova, Madagascar est parfaitement légitime à “ exiger de pouvoir exercer sa souveraineté ” sur l’archipel, dont il réclame la restitution depuis plus de quarante-cinq ans.
Après des décennies de domination française, Madagascar a accédé à l’indépendance le 26 juin 1960 : on fêtera bientôt ses 60 ans. Pourtant, mercredi 23 octobre, le président Emmanuel Macron a fait escale sur l’île de Grande Glorieuse, au large de Madagascar, et a cru bon de rappeler : “ Ici, c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse ”, ajoutant ces mots sibyllins : “ Ce n’est pas une idée creuse ”. Pourtant, dire “ ceci est à moi ”, en dépit de la géographie, de l’histoire et du droit international est bel et bien une “ idée creuse ”, voire une provocation, comme cela est perçu par les Malgaches.

En effet, lors de sa première visite d’Etat en France, du 28 mai au 3 juin, le président, Andry Rajoelina, avait solennellement demandé à son homologue français de mettre en place une commission mixte afin de trouver une solution pour la restitution des îles Eparses [revendiquée par Antananarivo depuis 1973], dont Grande Glorieuse fait partie, à Madagascar. Emmanuel Macron avait répondu positivement à cette demande et avait semblé ouvert à une restitution ou à une cogestion en bonne et due forme, car, comme il l’avait lui-même souligné, cette question “ mérite mieux que les cours de justice internationale ”.
Iles Eparses © AMAEPF
Îles Eparses © AMAEPF
       
Les îles Eparses constituent un archipel, qui entoure la grande île de Madagascar. Si la France continue de déclarer qu’elles lui appartiennent, c’est parce qu’elle a pris soin, trois mois avant la déclaration d’indépendance de Madagascar, de préserver ses intérêts par un décret opportun plaçant ces îles sous l’autorité du ministre chargé des départements et territoires d’outre-mer. A l’époque, le général de Gaulle avait voulu conserver une zone économique exclusive de 640 000 km2 riche en pétrole, en gaz et en richesses halieutiques.

Or, ce décret français du 1er avril 1960 n’est pas opposable à Madagascar, qui a accédé au statut de République autonome dès le 10 octobre 1958. L’article 1 de sa Constitution dispose que “ nul ne peut porter atteinte à l’intégrité territoriale de la République ” et que “ le territoire national est inaliénable ”. Par conséquent, Madagascar est parfaitement légitime à exiger de pouvoir exercer sa pleine et entière souveraineté sur les îles Eparses.


L'approbation de l'ONU

Du côté malgache, ni coup de force ni déclaration pompeuse. Antananarivo ne fait valoir que le droit. Ainsi, pour protéger son espace maritime, plusieurs décrets ont été pris et ont abouti à la loi du 3 février 2000 portant refonte de son code maritime. La France ne le respecte pas. Madagascar a également déposé une requête à l’Assemblée générale des Nations unies, qui a été approuvée par une résolution du 12 décembre 1979. La France ne la respecte pas. Ce faisant, la France ne respecte pas non plus la résolution de l’ONU du 24 octobre 1970 portant déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats, conformément à la Charte des Nations unies.

En mai, l’Assemblée générale de l’ONU a ordonné la restitution par le Royaume-Uni de l’archipel des Chagos à la République de Maurice. La Cour internationale de justice, dans un avis consultatif, a en effet déclaré que cette restitution permettrait à l’île Maurice “ d’achever la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination ”. La France, de son côté, acceptera-t-elle d’en finir avec son passé colonial ? La communauté internationale attend en tout cas d’elle qu’elle respecte le droit.

Philippe Disaine Rakotondramboahova
avocat au barreau de Madagascar

Le Monde, 2019