Le texte qui suit,
reproduit dans son intégralité,
a été publié dans
Le Monde (mercredi 1
er juillet 2020).

Il est urgent d'arracher le nom de Walter Benjamin — pour le mettre en sûreté — des mains de l’extrême-droite et de tous ceux qui réécrivent l’histoire, une fois encore, à l’encre des oppresseurs d’hier tandis qu’ils stigmatisent, sous toutes ses formes, l’étranger et le migrant.
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Walter Benjamin, “ Écrits autobiographiques ”, Paris, 1994
Walter Benjamin, “ Rastelli raconte … et autres récits ”, Paris, 1995
Walter Benjamin, “ Écrits français ”, Paris, 2003
       
Vicente Valero, “ Expérience et pauvreté : Walter Benjamin à Ibiza (1932-1933) ”, Rodez, 2003
Bruno Tackels, “ Walter Benjamin : une vie dans les textes ”, Arles, 2009

Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté
Et cet ennemi n'a pas fini de triompher



La réouverture d'un “ centre d'art Walter Benjamin ”, à Perpignan, évoquée dans le programme du nouveau maire, Louis Aliot, député du Rassemblement national, suscite l'indignation d'un collectif d'intellectuels, dont Michael Löwy, Patrick Boucheron et Jean-Luc Nancy qui, dans une lettre ouverte, dénonce cette récupération.

Quatre-vingts ans à peine nous séparent de ces mots — qui résonnent aujourd’hui d’une sinistre manière. Après l’escape game (“ jeu d'évasion ”) “ Portbou 1940 ” afin de sauver Walter Benjamin — un jeu de rôle obscène qui invitait les participants à revivre ses derniers jours —, voici venu le sombre temps, beaucoup plus grave, d’un tout autre ordre, le temps d’une nouvelle instrumentalisation du destin du philosophe allemand qui s’est donné la mort pour échapper au nazisme. Une trahison d’une toute autre portée.
 
En effet, au détour du programme de Louis Aliot, député du Rassemblement national, et élu maire à la mairie de Perpignan (Pyrénées-Orientales), on découvre non sans frémir sa volonté de rouvrir le centre d’art Walter Benjamin, aujourd’hui fermé, pour en faire un lieu dédié “ à la création et au devoir de mémoire (mise en place d’expositions, de conférences, de résidences d’artistes, création in situ …) ”.

Laisserons-nous Walter Benjamin devenir un butin, un trophée, une prise de guerre dans la vaste tentative de dédiabolisation, puis de normalisation du Rassemblement national qui, dans ce but, n’hésite pas à évoquer, outre la mémoire juive, les Gitans et l’histoire tragique de la Retirada espagnole [l'exode de milliers de républicains espagnols durant la guerre civile, 1936 à 1939] ?
 
Mémoire et histoire obligent. Elles nous obligent à rappeler et à nous rappeler que le parti de M. Aliot se situe dans l’héritage des mouvements politiques nationalistes qui, dans les années 1930 et 1940, en Allemagne d’abord, puis en France en Europe, ont contraint Benjamin à fuir, l’ont persécuté et contre lesquels il s’est toujours dressé. Un parmi tant d’autres “ sans nom ” et qui doit témoigner pour eux.
 
Il est urgent de se souvenir d’eux, de leurs combats, et de prendre la pleine mesure dans notre présent de cette phrase terrible : “ Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher ”.
 
Il est urgent d'arracher le nom de Walter Benjamin — pour le mettre en sûreté — des mains de l’extrême-droite et de tous ceux qui réécrivent l’histoire, une fois encore, à l’encre des oppresseurs d’hier tandis qu’ils stigmatisent, sous toutes ses formes, l’étranger et le migrant.
 
Nous sommes convaincus que la mémoire de ce qui se joua à Portbou pour Walter Benjamin comme pour tant d’autres, à quelques encablures de Perpignan, nous oblige à réagir avec la plus grande netteté. “ No pasaran ” [référence au mot d'ordre des républicains pendant la guerre civile]. C’est dans cet esprit de résistance à toutes les formes de l’oubli et de la manipulation de notre mémoire collective que nous nous opposons fermement , et par tous les moyens disponibles, à ce que le nom de Walter Benjamin soit associé à la réouverture d’un centre d’art à Perpignan, sous la mandature d’un maire appartenant au Rassemblement national.


LISTE DES PREMIERS SIGNATAIRES
   
Jean-Marc Adolphe, journaliste, essayiste
Etienne Balibar, philosophe
Ludivine Bantigny, historienne
Marc Berdet, philosophe
David Bobee, metteur en scène, directeur de théâtre
Patrick Boucheron, historien
Yves Chemla, enseignant chercheur en littérature
Ronan Chéneau, écrivain, dramaturge
Madeleine Claus, enseignante, écrivaine
Mari-Mai Corbel, écrivaine
Pippo Delbono, metteur en scène
Eric Fassin, sociologue
Emmanuel Faye, philosophe
Dominique Fernandez, romancier
Maurizio Gribaudi, historien
André Gunthert, historien
Paco Ibanez, chanteur
Natacha Isaeva, traductrice, dramaturge
Nicole Lapierre, anthropologue, sociologue
Michael Löwy, philosophe
Maria Maïlat, écrivaine
Marie-José Malis, metteur en scène, directrice de théâtre
André Markowicz, traducteur, poète
Françoise Morvan, traductrice, écrivaine
Jean-Luc Nancy, philosophe
Hélène Peytavi, artiste
Paul B. Preciado, philosophe
Nathalie Raoux, historienne
Michèle Riot-Sarcey, historienne
Anne Roche, philosophe
Benjamin Stora, historien
Bruno Tackels, philosophe
Katerina Thomadaki, cinéaste, plasticienne
Loïc Touzé, chorégraphe
Enzo Traverso, philosophe
Anatoli Vassiliev, metteur en scène


Le Monde, 2020