Il
est encore en Europe un peuple capable de législation, c'est
l'île de Corse. La valeur et la constance avec lesquelles ce
brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté
mériteraient bien que quelque homme sage lui apprit à la
conserver. J'ai le pressentiment qu'un jour cette petite île
étonnera l'Europe.
Jean-Jacques Rousseau Le Contrat social (1762) | ACCUEIL BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE LETTRES DES ÎLES ALBUM : IMAGES DES ÎLES ÉVÉNEMENTS OPINIONS CONTACT
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James Boswell, « L'île de Corse, journal d'un voyage », Paris, 1991 | James Boswell, « En défense des valeureux Corses », Monaco, 2002 | Antoine-Marie Graziani, « Pascal Paoli, père de la patrie corse », Paris, 2017 | Prince Charles Napoléon, « Bonaparte et Paoli : aux origines de la question corse », Paris, Ajaccio, 2000 | Francis Pallenti , « Pascal Paoli : la leçon d'un citoyen du ciel », Ajaccio, 2004 |
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QUAND LA CORSE ÉTONNAIT L'EUROPE
Antoine Lilti, historien
Les
nationalistes corses ont remporté une large victoire aux
élections territoriales de décembre 2017, suscitant
l’enthousiasme des uns, l’inquiétude des autres.
Doit-on craindre de nouveaux débats sans fin sur
l’existence d’un « peuple corse » ou
redouter le spectre des années de violence, symbolisées
par l’assassinat du préfet Erignac, dont on a
célébré cette semaine le vingtième
anniversaire ?
Pourtant,
c’est un passé plus ancien qu’invoque
continûment Jean-Guy Talamoni, le président de
l’Assemblée. Il y a deux ans, il inaugurait son premier
mandat en prêtant serment sur un livre publié
en 1758, Justification de la révolution de Corse, de
Don Gregorio Salvini. Cette année, il a choisi la Constitution
de 1755. Ces hommages aux révolutions corses du XVIIIe siècle
sont, sur l’île, des références
obligées qui font immanquablement vibrer la fibre patriotique. A
l’inverse, ils ne suscitent sur le continent qu’une
indifférence polie et vaguement étonnée,
proportionnelle à notre ignorance. Que savons-nous de la
Constitution corse de 1755 ? On se souvient en
général que la Corse fut cédée par
Gênes à la France lors du traité de Versailles
de 1768, un an avant la naissance d’un certain Napoléon
Bonaparte. Mais on oublie que le rattachement au royaume passe par une
campagne militaire difficile et que la résistance farouche des
Corses suscita l’admiration étonnée de
l’Europe éclairée. Les insulaires n’en
étaient pas à leur coup d’essai. Depuis 1729, ils
avaient lutté avec succès contre les Génois et
leurs alliés français. En 1755, ils avaient acquis
un véritable contrôle de l’île, à
l’exception des villes littorales, élu Pascal Paoli comme
général de la nation et adopté cette fameuse
Constitution. Pendant presque quinze ans, une république
autonome s’organisa, se dotant de nombreux éléments
de souveraineté et même d’une université. LA NATION COMME PROJET
Cette
république corse tenant tête aux puissances
européennes fascina les contemporains et fut commentée
dans toutes les gazettes, rappelle Antoine Franzini dans Un siècle de révolutions corses (Vendémiaire, 2017). Les philosophes aussi se passionnaient. Jean-Jacques Rousseau écrivit dans le Contrat social, en 1762 : « Il
est encore en Europe un peuple capable de législation, c'est
l'île de Corse. La valeur et la constance avec lesquelles ce
brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté
mériteraient bien que quelque homme sage lui apprit à la
conserver. J'ai le pressentiment qu'un jour cette petite île
étonnera l'Europe. » A la suite de quoi les
Corses lui demandèrent de les aider à établir une
nouvelle constitution. Le patriotisme corse semblait annoncer une
ère politique nouvelle, où la nation n'était plus
un donné de l'histoire mais un projet à construire.
L'enthousiasme gagna l'Amérique, où les cercles radicaux
avaient l'habitude, au début de la guerre d'Indépendance,
de porter des toasts à la nation corse. Le
combat des Corses trouva un visage emblématique en Pascal Paoli,
qui incarnait aux yeux de l'Europe le modèle nouveau du grand
homme. Chef militaire courageux, patriote et
désintéressé, Paoli semblait ressusciter les
grandes figures de l'Antiquité. Mais il était aussi en
passe de devenir un personnage médiatique. Un jeune
écrivain écossais, James Boswell, fut l'imprésario
de sa célébrité ; après lui avoir
rendu visite, il publia un récit romancé et spectaculaire
qui connut un immense succès. Selon l'historien David Bell,
Paoli fut le premier chef charismatique du siècle des
Lumières, avant Washington ou Bonaparte.
Contraint
à l'exil en 1769, Paoli fit un retour triomphal sur l'île
en 1790, au moment de la Révolution française.
L'enthousiasme était total, même si l'unanimité fut
de courte durée, et le vieux chef fut fêté comme un
précurseur et un libérateur, à Paris comme
à Bastia. Si bien que l'héritage des révolutions
corses du XVIIIe siècle peut
se comprendre de différentes manières :
annonçaient-elles l'indépendance du peuple corse ou son
intégration dans une France républicaine ? A l'heure
où le regain des régionalismes invite à
réinventer, à l'échelle du continent, les liens du
nationalisme et de la démocratie, la petit île
saura-t-elle, de nouveau, étonner l'Europe ? | Gregorio
Salvini, « Giustificazione della rivoluzione di Corsica, e
della ferma risoluzione da Corsi di mai piu' sottometterse al dominio
di Genova », Corte : Nella Stamperia della
Verità, 1758
Gregorio Salvini,
« Justification de la révolution de Corse, et de la ferme
résolution prise par les Corses de ne plus jamais se soumettre
à la domination génoise » éd. et trad.
par François Piazza, Ajaccio : Alain Piazzola, 2010
Gregorio
Salvini, « Justification de la révolution de
Corse ; combattue par les réflexions d'un Génois,
l'évêque Pier Maria Giustiniani ; et défendue
par les observations d'un Corse Buonfigliolo Guelfucci »
éd. et trad. par Evelyne Luciani, Ajaccio : Albiana, 2013 | | Antoine
Franzini, « Un siècle de révolutions
corses : naissance d'un sujet politique, 1729-1802 »,
Paris : Vendémiaire, 2017 |
Le Monde, 2018
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