Île
de Pâques / Pierre Loti ; présenté par Marc
Wiltz. - Paris : Magellan et Cie, 2013. - 60 p. :
ill. ; 18 cm. - (Heureux qui comme …, 83). ISBN 978-2-35074-250-2
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Janvier 1872 : Julien Viaud vient d'avoir vingt-deux ans quand La Flore
sur laquelle il sert comme aspirant fait une escale de quatre jours
à l'île de Pâques. Sous le coup de l'émotion
il note dans son journal les impressions nées du bref contact
avec une île à l'écart des circuits de navigation,
et avec celles et ceux qui y vivent. Le témoignage est
explicitement subjectif, mais il retient l'attention par
l'étroite implication de l'auteur : son enthousiasme lui a
valu d'être mantaté par les officiers du bord pour
reconnaître les lieux, effectuer un maximum de croquis et marchander
les souvenirs d'usage, « des idoles, des casse-tête ou
des lances, en échange de vêtements ou d'objets qui les
amusent » (p. 16). Quittant l'île, il avoue qu'au
souvenir d'un vieux chef qui lui a remis une idole de pierre en
échange d'une redingote d'amiral, il éprouve le sentiment
d'avoir « manqué de respect » (p. 57).
Ces
brèves notations seront rendues publiques vingt-sept ans plus
tard, sous une forme retravaillée : « j'avais
noté au jour le jour mes impressions (…), avec beaucoup
d'incohérence et d'enfantillage. C'est ce journal d'enfant que
j'ai traduit (…), en essayant de lui donner la précision
qui lui faisait défaut » (p. 9). Le texte
paraît en 1899, dans La Revue de Paris avant d'être repris,
la même année, dans Reflets sur la sombre route.
Pour
une comparaison des deux états de la relation de cette escale,
on peut se référer à l'édition
publiée en 2006 aux éditions Christian Pirot.
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EXTRAIT |
Ils chantent, les Maoris : ils chantent tous, en battant des
mains comme pour marquer un rythme de danse. Les femmes donnent des
notes aussi douces et flutées que des notes d'oiseau. Les
hommes, tantôt se font des petites voix de fausset toutes
chevotantes et grêles, tantôt produisent des sons
caverneux, comme des rauquements de fauves qui s'ennuient. Leur musique
se compose de phrases courtes et saccadées, qu'ils terminent
toujours par de lugubres vocalises descendantes, en mode mineur ;
on dirait qu'ils expriment l'étonnement de vivre, la tristesse
de vivre, et pourtant c'est dans la joie qu'ils chantent, dans
l'enfantine joie de nous voir, dans l'amusement des petits objets
nouveaux par nous apportés.
Joie
d'un jour, joie qui, demain, quand nous serons loin, fera pour
longtemps place à la monotonie et au silence. Prisonniers sur
leur île sans arbre et sans eau, ils sont, ces chanteurs
sauvages, d'une race condamnée, qui, même là-bas en
Polynésie, dans les îles mères, va
s'éteignant très vite ; ils appartiennent à
une humanité finissante et leur singulier destin est de
bientôt disparaître …
Pendant
que ceux-là battent des mains et s'amusent, mêlés
si familièrement à nous, d'autres personnages nous
observent dans une immobilité pensive. Sur des rochers en
amphithéâtre, qui nous dominent et font face à la
mer, se tient échelonnée toute une autre partie de la
population, plus craintive ou plus ombrageuse, avec qui nous n'avons pu
lier connaissance : des hommes très tatoués,
farouchement accroupis, les mains jointes sous les genoux ; des
femmes assises dans des poses de statue, ayant aux épaules des
espèces de manteaux blanchâtres et, sur leurs cheveux
noués à l'antique, des couronnes de roseaux. Pas un
mouvement, pas une manifestation, pas un bruit ; ils se contentent
de nous regarder, d'un peu haut et à distance.
☐ pp. 28-29 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - Pierre Loti, « L'île de Pâques », La Revue de Paris, 15 mars 1899
- Pierre Loti, « L'île de Pâques » in Reflets sur la sombre route, Paris : Calmann-Lévy, 1899
- Pierre Loti, « L'île de Pâques : Journal d'un aspirant de La Flore », St Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 2006
- «
Loti en Amérique, de la Terre de Feu à New
York » textes réunis par Alain Quella-Villéger
et présentés par Bruno Vercier, Saint
Pourçain-sur-Sioule : Bleu autour,
Mignaloux-Beauvoir : Le Carrelet, 2018
| | l'île
de Pâques : autres références sur le site
d'information des « littératures insulaires » | - Lorena Bettocchi, « La parole perdue - Rongo O'ono »,
Papeete : chez l'auteur, 1998
- « Rapa
Nui - île de Pâques », n° spécial
du Bulletin de la Sté des Études Océaniennes,
Papeete, 1999
- Pierrette Fleutiaux, « L'expédition »,
Paris : Gallimard, 1999
- Edouard Glissant, « La
terre magnétique : les errances de Rapa Nui, l'île de
Pâques » en collaboration avec Sylvie Séma,
Paris : Seuil (Peuples de l'eau), 2007
- Martin d'Orgeval, « Pâques », Göttingen : Steidl, 2006
- Daniel Pardon, « Guide de l'île de Pâques »,
Papeete : Au Vent des îles, 2004
- Marie-Françoise Peteuil,
« Les évadés
de l'île de Pâques », Paris :
L'Harmattan, 2004
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mise-à-jour : 25 mai 2018 |
 | Illustration de couverture : Vue de monuments de Rapanui (1776) William Hodges |
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