Tavae Raioaoa

Si loin du monde

Oh ! Éditions

Paris, 2003

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errances
parutions 2003
Si loin du monde / Tavae Raioaoa, en collaboration avec Lionel Duroy. - Paris : Oh ! Éditions, 2003. - 172 p.-[8] p. de pl. : ill. ; 22 cm.
ISBN : 2-915056-06-4
Parti le 15 mars 2002 de Faa'a, commune voisine de Papeete, pour pêcher le mahi mahi (dorade coryphène) dans les parages de Maiao, Tavae subit peu après une avarie de moteur. Commence une interminable dérive au gré des courants et des vents du Pacifique. 118 jours plus tard, il parvient à échouer son embarcation sur l'île d'Aitutaki (groupe Nord de l'archipel des Cook), à 1 200 kilomètres de son point de départ.

Le récit recueilli et transcrit par Lionel Duroy est celui d'une belle et terrible aventure, où rien n'est épargné des épreuves — la chaleur, la faim, la soif, le déchaînement d'une tempête, la solitude, l'épuisement, le désespoir … — ayant marqué la lente progression vers l'ouest sur un océan où, progressivement, s'estompaient les repères les plus familiers : « j'eus soudain le sentiment vertigineux d'être entré sans y prendre garde dans le vide infini du monde ».

Au désastre qui menace chaque jour avec plus d'intensité, Tavae oppose une détermination et une endurance qui mobilisent toutes les ressources de la science nautique et de l'âme polynésiennes ; c'est en descendant direct des dieux et des navigateurs d'hier qu'il fait front, maîtrisant aux pires moments le savoir acquis par toute une lignée de pêcheurs, véritables « seigneurs de la mer » qu'il associe à ses monologues et qui, dans ses rêves, lui transmettent conseils et encouragements.

En contrepoint de l'incroyable exploit, Si loin du monde esquisse le portrait d'un homme fier et attachant, navré de voir sombrer le monde où plongent ses racines et de constater l'emprise croissante d'une société occidentale aux prestiges factices. L'odyssée de Tavae, pourtant, ravive avec éclat le légendaire polynésien ; à peine débarqué à Aitutaki, on le surnomme « papa Ru », du nom d'un héros d'autrefois qui, parti avec les siens de Raiatea sur une grande pirogue, avait fait le grand voyage et permis le peuplement de l'île : « moi aussi, j'avais traversé la tempête et demandé l'aide de Dieu. Et après un voyage de mille deux cents kilomètres, ponctué de tous les périls imaginables, le ciel avait voulu qu'Aitutaki fût ma destination ».

Tavae est décédé le 11 septembre 2010, à l'âge de soixante-quatre ans.
EXTRAIT

La chose me sauta aux yeux subitement : des algues flottaient maintenant sous mon bateau, accrochées à la coque, et on devinait ici et là, nichés dessous, de petites huîtres, des coquillages, toutes sortes de mollusques … Je ne parvenais pas à en détacher le regard. Ce spectacle, c'était celui qu'offrent les bateaux à l'abandon, les épaves, les troncs d'arbre rejetés à la côte. C'est ainsi que la mer signifie aux objets qu'ils lui appartiennent désormais, qu'elle a commencé sur eux son lent travail de destruction, qu'elle est en train de les défaire petit à petit, de les dissoudre … Rien n'aurait pu mieux me dire combien ma situation était difficile : l'esquif qui me protégeait de la mort ne se défendait plus et il se laissait à présent ronger comme un cadavre.

Combien de jours, combien de semaines d'errance immobile m'avait-il fallu pour en arriver là ? Je continuais à observer les signes annonciateurs de ma propre disparition quand je fus émerveillé par la quantité de petits poissons qui frayaient dans mon ombre. On ne les voyait pas au premier regard, ils se tenaient en bancs argentés, à différentes profondeurs, nageant imperceptiblement dans le courant, se nourissant certainement des algues et des organismes minuscules qui y pullulaient. Mon dieu, me dis-je, et moi qui me croyais seul ! Je guettais sur l'horizon lointain une vie qui fût à mon échelle, et cette vie se cachait là, sous moi. Je n'avais eu qu'à me pencher pour la découvrir. La présence de ces poissons par centaines qui m'accompagnaient, qui avaient élu domicile sous mon bateau parce qu'il leur apportait leur subsistance quotidienne m'entraîna dans une rêverie pleine de souvenirs d'enfant. Petit, on nous racontait en forme de conte qu'avant d'être une terre Tahiti avait été un grand poisson. C'est cela, nous disait notre mère, qui expliquait sa forme si étonnamment comparable à celle du poisson chirurgien, Faa'a figurant la bouche et la presqu'île de Taiarapu la queue. […] Oui, dans nos contes d'enfant, même les terres prenaient un jour la mer pour découvrir d'autres horizons. Même les montagnes. Et toujours les poissons accompagnaient ces longs voyages. Est-ce que je n'étais pas en train de vivre moi-même un de ces récits fabuleux ?

pp. 73-75

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Si loin du monde », Paris : Pocket, 2004, 2005
  • « Te moana taui rai » trad. du français en tahitien par Turo a Raapoto, Papeete : Au Vent des îles, 2007

mise-à-jour : 13 septembre 2010

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