A ma fille Aline,
ce cahier est dédié [nlle publication en fac-simile
du Cahier réalisé par Paul Gauguin à
Otaïti, en 1893, précédé de Le « Cahier
pour Aline », Histoire et signification par Victor
Merlhès] / Paul Gauguin ; éd. par Victor Merlhès.
- Paris : Sté des Amis de la Bibliothèque
d'Art et d'Archéologie ; Bordeaux : William
Blake and Co., 1989. - (2 vol.) 86 p.-[56] p. de pl. :
ill. ; 23 cm.
ISBN 2-905810-32-7
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Quand il débarque à
Tahiti pour la première fois, en juin 1891, Gauguin cherche
un monde nouveau, mais il n'a pas renoncé à tout
ce qui l'attache durablement à la terre quittée.
Dès les mois qui suivent, il éprouve une première
désillusion au spectacle du monde polynésien qu'il
voit reculer et vaciller face aux assauts du colonialisme
européen. Dans le même temps il souffre chaque jour
plus âprement du déracinement qu'il s'est imposé.
Le Cahier pour Aline peut
être lu comme le journal d'un exilé. A l'exception
des quelques paragraphes consacrés à la genèse
du tableau Manao Tupapau, l'île où Gauguin
réside pourtant depuis presque deux ans est absente du
texte rédigé en 1893. Au contraire, tout y désigne les
antipodes : références à Edgar Poe, Wagner,
Schumann, Rembrandt, Corot, Verlaine, Balzac, …
Colère à l'évocation du petit [Emile] Bernard.
Et, surtout, la dédicace appuyée à ma
fille Aline.
En opposition remarquable avec
le texte, plus connu, de Noa Noa,
le Cahier impose donc une image par défaut
de l'île ; c'est le lieu d'un manque, symbolisé
au plus haut degré par Aline, la fille aînée
du peintre, avec qui il se sentait en profonde affinité.
Seule la présentation matérielle du mince cahier
d'écolier où s'exprime si directement cette nostalgie
fait contraste : la couverture d'origine est recouverte
de tapa 1, et ornée d'un dessin aquarellé
représentant un tupapau, figure errante qui hante
les nuits des îles.
Les idées consignées
sur le Cahier ne vont jamais cesser leur travail dans
l'esprit de Gauguin ; beaucoup reparaîtront dans les
écrits postérieurs : dans les Notes sur l'art
à l'Exposition universelle (1889), dans le manuscrit
(toujours inédit) Diverses choses
(1896-1897), dans Avant et
après (1902).
En 1897, apprenant la mort d'Aline
qui venait d'avoir dix-neuf ans, Gauguin est violemment ébranlé :
« Sa tombe là-bas, des fleurs — apparence
que tout celà. Sa tombe est ici tout près de
moi. Mes larmes sont les fleurs ; vivantes celles-là » 2. Le Cahier l'accompagnera jusqu'à
sa propre fin, quatre ans plus tard, et Segalen pourra le consulter
aux Marquises, parmi les autres vestiges consignés par l'administration. 1. | nom
donné par les Polynésiens à une étoffe
réalisée à partir d'écorce d'arbre. | 2. | lettre inédite à Mette, citée dans le commentaire de Victor Merlhès. |
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VICTOR MERLHÈS : Tahiti ! Sur la foi d'un mot
de Mirbeau : « Tahiti — entrevu jadis
pendant ses voyages de marin », on a prétendu
que Gauguin y aurait fait escale en 1867. Rien n'est moins sûr.
Quoi qu'il en soit, il s'informe et s'enthousiasme : « J'ai
lu un livre du département des colonies donnant bien des
renseignements sur l'existence de Taïti, écrit-il
au mois d'août [1890] à son camarade Schuffenecker.
Merveilleux pays dans lequel je voudrais y terminer mon existence
avec tous mes enfants. Je verrais plus tard à les
faire venir — (…) Je ne vis plus ici que dans cette espérance
de la terre promise ».
☐ Vol. 2, p. 19
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