Davertige [Villard Denis]

Anthologie secrète, introduction de Rodney Saint-Eloi, postface et illustrations de l'auteur

moire d'encrier

Montréal, 2003

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2003
6ème édition du Prix du Livre Insulaire (Ouessant 2004)
Grand Prix du Livre Insulaire - Prix des îles du Ponant
Anthologie secrète / Davertige (Villard Denis) ; introduction de Rodney Saint-Eloi ; préface et illustrations de l'auteur. - Montréal : Mémoire d'encrier, 2003. - 154 p. : ill. ; 23 cm.
ISBN 2-923153-03-0

Fruit de la rencontre entre Davertige et un éditeur clairvoyant, cette Anthologie secrète offre aux lecteurs des deux bords de l'Atlantique un ensemble de poèmes parus en 1962 à Port-au-Prince sous le titre Idem, réédités une première fois à Paris en 1964, puis en 1984 à Montréal ; y ont été adjoints des textes nouveaux, une postface et une suite de dessins à l'encre de Chine par l'auteur, la préface de Serge Legagneur pour l'édition originale et celle d'Alain Bosquet pour la réédition parisienne (Seghers).

Le hasard l'ayant mis en possession d'un exemplaire de l'édition originale, Alain Bosquet avait aussitôt écrit : “ Il arrive une fois tous les dix ans et peut-être moins, qu'en lisant un poète inconnu on reçoive un choc qui, soudain, vous fait éprouver la différence entre la littérature appliquée, intelligente, digne de tous les éloges, et le génie à l'état sauvage. Ce genre de bouleversements je l'ai éprouvé (…) en lisant une plaquette pauvrement imprimée à quelques exemplaires, à Port-au-Prince : Idem, de Davertige ” 1 ; Alain Bosquet s'était alors employé à rendre possible une édition accessible aux lecteurs de France.

En prenant l'initiative d'une édition nouvelle — et enrichie —, Rodney Saint-Eloi reprend le flambeau du premier passeur d'un texte fulgurant, à faire trembler le lecteur (Alain Bosquet) ; il met au service de cette nécessaire renaissance toutes les ressources et toute la finesse de sa propre sensibilité — poétique.
       
1. Le Monde, 17 août 1963.

DANY LAFERRIÈRE : Encore Davertige, direz-vous. Ça me fait toujours plaisir de revenir à un pur poète. Je marche au milieu d'un cortège d'ombres en passant de Borges à Tanizaki, de Whitman à Miron, de Bukowski à Boulgakov, Le Maître et Marguerite, ou de Baldwin à Gombrowicz. Et Davertige ?

En 1952, au début de la dictature de Duvalier, un jeune homme de 22 ans publie un recueil de poèmes énigmatiques (Idem) qui tranchait complètement avec la manière locale. L'accueil fut assez froid, comme toujours pour ce qui est véritablement nouveau, sauf un public restreint qui l'accueillit avec des vivats. Des années plus tard, Davertige ajoute quelques inédits (Ibidem). Le mince recueil parvint à Paris à Alain Bosquet, toujours à l'affût, qui le reçut comme “ un séisme ”.

Le 17 août 1963, Bosquet s'enthousiasme dans Le Monde : “ Il arrive, une fois tous les 10 ans et peut-être moins, qu'en lisant un poète inconnu on reçoive un choc qui, soudains, vous fait éprouver la différence entre la littérature appliquée, intelligente, digne de tous les éloges, et le génie à l'état sauvage. ” Aujourd'hui encore, je partage l'opinion de Bosquet sauf sur cette imprudente expression de “ génie à l'état sauvage ”.

Ces rousseauistes voyaient des sauvages partout. J'aurais écrit plutôt génie à l'état pur, bien que je trouve le mot génie un peu exagéré. Je reste, à chaque lecture, complètement hébété devant la puissance d'expression de cet adolescent — la plupart des poèmes ont été écrits entre 17 et 20 ans. Écoutez cette voix qui nous vient du fond des années 60 :

Après Paris, Davertige vint à Montréal en 1976 où il vécut jusqu'à sa mort en 2004, dans l'anonymat presque total. C'est l'éditeur Rodney Saint-Éloi qui le dénicha dans cette petit chambre où il écrivait dans une solitude absolue. Saint-Éloi finit par le convaincre, en 2003, d'accepter de publier une édition complète de son œuvre (Anthologie secrète, Mémoire d'encrier).

Hommes de l'inquiétude
Je ne vous ai jamais connus
Tant que la pente sera mouvante
Je prendrai toujours mon bateau
Si c'est une fenêtre lyrique
Que l'on me donne des fleurs
J'ai des bras comme les autres pour travailler
Des lèvres pour baiser
Je me connais Davertige
De tous les vertiges des siècles.

Ce n'est que l'année de sa mort qu'il rencontra pour la première fois quelques poètes montréalais. Les journalistes commencèrent à le visiter. Son côté dandy, sa langue si précise, ses manières un peu précieuses, ses longs doigts raffinés, émurent les jeunes chroniqueuses. Je revois encore ses yeux brillants par cette soudaine gloire. Il avait l'impression d'être vu, ici, pour la première fois. Mais c'était déjà la dernière. Il avait connu tout de suite la célébrité en 1963, puis un interminable tunnel, et à la toute fin cette forme de réanimation. L'impression que Davertige ne nous quittera plus, cette fois.

“ Mon corps reprend son harmonie sur la tour de la mort ”, prophétisait-il.
       
“ Un pur poète ”, chronique publiée dans La Presse (Montréal), 28 mai 2006
EXTRAIT

LA LÉGENDE DE VILLARD DENIS

La légende de Villard Denis
Est une légende simple et amère
Sous le tournoiement des couteaux de l'ardoise
Et de la corde en coryphée dans les branches

Elle voit au loin la cendre du cœur tourner
Entre des crocs et des salives
Pour dire la geste du cœur-aux-chiens
La légende était à leurs pieds
Avec mes vitres brisées dévorantes
Ma chemise trop fine voulant encercler l'incendie

Voici la légende du cœur-aux-chiens
Avec la célérité des flammes de la main
Qui disent non pour son sang vif
Ses cloches sonnent avec un bruit de bois sec
Au-dessus des arbres brisés en paraboles
Pour l'entraîner dans les dangers des fantômes tourbillonnants
Près du parapet des noms en serpents

[…]

C'est le cœur de Villard Denis
Émerveillé dans un monde en pâtures
Sous les nuages violets des chiens
Où gisent le glas de la tombe et l'émerveillement de ses nuits
Crépitant dessous les sanglots dans le crachoir imberbe de sa face

[…]

Ce n'est pas adieu que je dis aux étoiles de vos talons

Qu'en Enfer les dieux vous bénissent
Et sous la girouette du sang
Chante la légende de Villard
Qui est une légende immortelle.

pp. 111-112

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Idem », préface de Serge Legagneur, Port-au-Prince : Imprimerie Théodore, 1962
  • « Idem et autres poèmes », préface d'Alain Bosquet, Paris : Seghers, 1964
  • « Idem », Montréal : Nouvelle Optique, 1983
  • Maximilien Laroche, « Idem de Villard Denis : le vertige d'une métamorphose sans identité », in Claude Souffrant (éd.), Littérature et société en Haïti, Port-au-Prince : Henri Deschamps, 1991 (pp. 71-101)
  • René Philoctète, « Trois poètes de Haïti Littéraire », in Claude Souffrant (éd.), Littérature et société en Haïti, Port-au-Prince : Henri Deschamps, 1991 (pp. 233-246)
  • Bernadette Carré Crosley, « Davertige : poète haïtien, poète universel », Paris : L'Harmattan (Espaces littéraires), 2003
Sur le site « île en île » : dossier Davertige

mise-à-jour : 22 avril 2020
Né à Port-au-Prince en 1940,
le poète Davertige est décédé
à Montréal le 25 juillet 2004.

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