Jacques Roumain

A propos de la campagne « anti-superstitieuse » - Las Supersticiones

Imprimerie de l'État

Port-au-Prince, [1942]
bibliothèque insulaire
   
édité en Haïti
A propos de la campagne " anti-superstitieuse " - Las Supersticiones / Jacques Roumain. - Port-au-Prince : Imprimerie de l'État, [1942]. - 26 p. ; 20 cm.

ANDRÉ MARCEL D'ANS : […] Cette brochure était destinée à connaître une très large diffusion […] non seulement à travers le pays, mais également à l'étranger, et particulièrement en République dominicaine et à Cuba, où il s'agissait de lutter contre la déplorable réputation de paganisme primitif qui était faite à la république d'Haïti. […]

Une lecture attentive de cette publication la révèle tout d'abord nettement moins « diffamatoire », dans sa plus grande partie, que ne le considère la hiérarchie catholique. Le ton en est précis, mesuré ; et si l'analyse politique sur laquelle se termine le texte avait assurément de quoi déplaire à ceux qui en étaient la cible, elle nous paraît relever du débat à visage découvert et non de la diffamation. Quant aux lecteurs d'aujourd'hui qui se prépareraient à découvrir dans ce texte une apologie attendrie des croyances et pratiques du vaudou, et un appel à leur protection contre les rigueurs d'une « agression culturelle » menée contre elles au nom des valeurs exogènes du christianisme, ils seront certainement bien surpris de ne rien y trouver de conformes à leurs attentes.

Développant tout d'abord l'idée que les superstitions ne sont rien de plus que l'héritage d'âges obscurs remontant à la « préhistoire de la pensée humaine », Jacques Roumain assène d'emblée cette assertion inattendue :

L'Haïtien n'est pas plus ni moins superstitieux qu'un autre peuple. Les pratiques dites superstitieuses auxquelles il se livre ont un caractère universel.

[…]

[Le vaudou] est-il une superstition ? Question oiseuse, estime Jacques Roumain qui, se fondant sur l'autorité « des Drs Price-Mars, J.-C. Dorsainvil et du Professeur Melville J. Herskovits », estime que fondamentalement « le vaudou représente un syncrétisme catholico-vaudou », et qu'à ce titre il relève de la définition du phénomène religieux, que caractérise sa capacité d'absorber des éléments d'un substrat pour les fondre dans une nouvelle mouture évolutive. […]

« Le terrain initial » du syncrétisme catholico-vaudou ayant été la colonie de Saint-Domingue, il ne fait aucun doute que son substrat consiste en « une mosaïque disparate de croyances religieuses africaines » correspondant aux « diverses tribus nègres » qui se trouvaient représentées à Saint-Domingue. Contrairement cependant à la croyance qu'entérineront plus tard nombre de ses successeurs dans l'histoire de l'ethnologie haïtienne, Jacques Roumain ne croit pas du tout en la possibilité d'une survivance subreptice et irrépressible de traits culturels africains. Il considère en effet que « ces croyances n'offrent pas de cadre dogmatique, nulle rigidité, aucune résistance à l'imposition d'une nouvelle formule religieuse ».

Ce que Jacques Roumain déplore et désapprouve, ce n'est d'ailleurs pas cette imposition elle-même ; mais le fait qu'elle eut été si mal réalisée : en raison de la négligence et de la brutalité de l'évangélisation coloniale tout d'abord, puis de l'état d'abandon dans lequel fut laissé la christianisation des campagnes entre le moment de l'Indépendance (1804) et la signature d'un Concordat avec Rome, en 1860. […]

Bref, « ce qu'on peut reprocher au clergé, estime Jacques Roumain, c'est d'avoir laissé des prêtres ignorants offrir à nos masses une vision si élémentaire du surnaturel qu'une fusion des croyances africaines et catholiques a pu se réaliser ». Loin de se féliciter de cette émergence du vaudou, Jacques Roumain en explique les excès — qu'il juge lui-même critiquables — par les conditions sociales et économiques dans lesquelles croupit le peuple haïtien […].

Tant que nous n'aurons pas développé un système suffisant de cliniques rurales, le paysan ira consulter le bocor. Et il aura raison de le faire. (…) Ce qu'il faut mener en Haïti, ce n'est pas une campagne anti-superstitieuse, mais une campagne anti-misère.

« Jacques Roumain et la fascination de l'ethnologie », in Œuvres complètes de Jacques Roumain, pp. 1406-1409

LAËNNEC HURBON : Jacques Roumain, écrivain communiste, auteur de Gouverneurs de la rosée, est le fondateur du bureau d'ethnologie de Port-au-Prince en 1934. Il est un des rares intellectuels haïtiens qui a osé, à l'époque, dénoncer vigoureusement la campagne antisuperstitieuse de 1941.

« Les mystères du vaudou », Paris : Gallimard (Découvertes), 2000 (p. 145)

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « A propos de la campagne " anti-superstitieuse " » in Œuvres complètes de Jacques Roumain, éd. critique sous la dir. de Léon-François Hoffmann, Madrid, Nanterre : ALLCA XX, 2003 (pp. 741-759)
Sur le site « île en île » : dossier Jacques Roumain

mise-à-jour : 10 février 2017
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