Gary Victor

Quand le jour cède à la nuit

Vents d'Ailleurs

La Roque d'Anthéron, 2012

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2012
Quand le jour cède à la nuit / Gary Victor ; préface d'Yves Chemla. - La Roque d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2012. - 122 p. ; 23 cm.
ISBN 978-2-911412-98-1
Gary Victor a participé au Salon du Livre Insulaire d'Ouessant en 2002 et en 2004.
Quand le jour cède à la nuit — le titre donne le ton de ce recueil de nouvelles qui ont été publiées pour la première fois entre 1977 et 1987 dans différents quotidiens de Port-au-Prince. Gary Victor est né en 1958 : les plus anciens de ces textes ont été écrits alors qu'il n'avait pas vingt ans, et tous ou presque l'ont été quand Jean-Claude Duvalier, Baby Doc, dirigeait le pays. Ce sont donc les premières flèches d'un jeune homme en colère qui vise tous les pouvoirs, politiques ou économiques, avec précision et détermination.

Le choix opéré par l'éditeur permet de discerner les thèmes qui seront développés dans la suite de l'œuvre et illustre le singulier brassage des formes que pratique Gary Victor, de la chronique réaliste à la science-fiction, du roman policier au conte philosophique : sous ces éclairages divers se poursuit avec une rare obstination une vigoureuse dénonciation de la bêtise et des ravages qu'elle exerce — en Haïti comme dans le reste du monde.

Pourtant, au fond du plus sinistre cachot comme au cœur des crises les plus rudes, subsite la possibilité d'une embellie ; c'est la leçon que propose la dernière nouvelle au titre parlant : Fragment d'azur au dessus des ténèbres. Où souffle le vent des hautes cimes, Gary Victor sait trouver la force de poursuivre son combat.
EXTRAIT De la cour me parvenaient les rires et les jurons grossiers des soldats, le grondement essoufflé d'un moteur de véhicule et parfois même le claquement sec d'une détonation qui ranimait alors chez moi des souvenirs que je tentais en vain d'oublier. « Nous sommes des mutants », dit soudain Bernardo. Je relevai la tête, fouillant dans l'obscurité comme si j'avais une chance de découvrir son visage osseux au nez écrasé par les nombreux coups qu'il avait reçus. « Nous sommes quoi ? » demandai-je, surpris. Je devinai son soulagement quand il me répondit : « Des mutants, hombre ! Tu es un intellectuel trop attaché à des formes traditionnelles pour connaître le thème du mutant dans la littérature dite spéculative. Le mutant est un être humain doué d'un pouvoir qu'il est obligé de cacher afin de vivre en sécurité dans la société. Tu me demanderas alors en quoi nous sommes des mutants. Nous sommes des mutants parce que tout, en nous, refuse le mal comme donnée immuable, définitive. Nous avons préféré sacrifier nos vies plutôt que de vivre avec et pour le mal. En tant que mutants, nous avons le choix entre deux options : la première, nous contenter de l'illusion d'une récompense future, au-delà de la mort, parce que jamais nous n'avons accepté le mal. Nous l'avons rejetée parce qu'une telle attitude de pensée ne ferait que perpétuer un système pourri. La seconde option, que nous avons choisie, nous a conduits ici, car que sommes-nous, Rubet, face au Mal ? Le Mal a ses agents, ses fidèles et beaucoup plus que cela, ces millions de gens qui, même s'ils craignent le Mal, le respectent, le vénèrent et lui vouent une admiration secrète … La peur, Rubet ! Elle est partout … La peur de la faim, la peur du dénuement, la peur de la pauvreté qui est la plus grande peur dans cette société de consommation. Ce sont ces peurs qui font que le Mal a toujours le mot de la fin. » Je le repoussai, car il avait approché si près son visage du mien que son haleine fétide me donnait la nausée : « Tais-toi, Bernardo, lui dis-je, d'une voix à peine perceptible. Tu m'ennuies. Tu ne fais que répéter ce que nous savions tous déjà. » Il a ricané, puis, brusquement, il s'est mis à pleurer en poussant parfois des cris perçants de damné. Je n'ai rien tenté pour le calmer. Je savais que c'était impossible. Que doit-il rester de Bernardo maintenant ? Rien qu'une conscience éparse se manifestant dans un corps meurtri, déchiré, lacéré par les spécialistes du bâtiment numéro 7. La dernière fois que je l'avais vu, ses mains  avaient été réduites en un tas de chairs sanguinolentes par l'un de leurs instruments de torture. J'ai fermé les yeux pour essayer de dormir. Il fallait en profiter. Un jour, je n'aurai plus de paupières. Ils me l'ont promis.

pp. 116-117
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
→ Thierry Leclère, « King créole : portrait de Gary Victor », Télérama, n° 2953, 19 août 2006
Sur le site « île en île » : dossier Gary Victor

mise-à-jour : 30 décembre 2013

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