Ulysse / James Joyce ;
nlle édition sous la direction de Jacques Aubert ;
trad. de l'anglais (Irlande) par Stuart Gilbert, Valery Larbaud,
Auguste Morel, Jacques Aubert, Pascal Bataillard, Michel Cusin,
Sylvie Doizelet, Patrick Drevet, Bernard Hoepffner, Tiphaine
Samoyault et Marie-Danièle Vors. - Paris : Gallimard,
2004. - 981 p. ; 21 cm. - (Du monde entier).
ISBN 2-07-076349-8
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Roman exceptionnel à tous
égards, Ulysse devait nécessairement confronter
ses traducteurs à d'exceptionnelles difficultés.
La première (et longtemps unique) traduction française
est l'œuvre d'Auguste Morel assisté de Stuart Gilbert ;
ce travail a bénéficié, avant la publication
(1929) du concours notoire mais difficilement évaluable
de Valery Larbaud et de Joyce lui-même.
La nouvelle traduction proposée
en 2004 s'accompagne, ce qui n'est pas pour surprendre, d'une
tentative de justification dont on retiendra, parmi d'autres,
deux composantes.
“ Les raisons qui
plaident en faveur d'une nouvelle traduction sont nombreuses.
D'une part elle compense les défauts inhérents
à une traduction proche historiquement de l'original,
proximité qui empêche d'en saisir toute la complexité.
Elle propose une version plus proche à la fois du texte
de James Joyce et de nous.
[…]
« Joyce l'a répété, il a écrit
son livre de dix-huit points de vue qui sont autant de styles
différents. C'était favoriser l'idée d'une
traduction collective, dont l'avantage est d'éviter que
le recours à un seul traducteur, si brillant fût-il,
ne donne à la lecture de l'œuvre un infléchissement
trop personnel et que le texte ne résonne d'une seule
voix. ”
☐ Jacques Aubert et l'ensemble
des traducteurs, Postface “ Écrire après
Joyce ”, pp. 972-975
De fait le découpage du
roman en dix-huit séquences, ou épisodes, a sous-tendu
la constitution d'un groupe de huit traducteurs dont certains
n'ont traduit qu'un épisode (Michel Cusin pour l'épisode
dit de Nestor, Marie-Danièle Vors pour l'épisode
de Calypso et Sylvie Doizelet pour celui de Charybde
et Scylla), d'autres deux (Jacques Aubert pour les épisodes
de Télémaque et des Rochers errants,
Patrick Drevet pour Hadès et Nausicaa) ;
Pascal Bataillard a traduit trois épisodes (Protée,
Les Lotophages, Eumée), tout comme Bernard Hoepffner
(Éole, Circé, Ithaque), et Tiphaine
Samoyault en a traduit quatre (Les Lestrygons, Les Sirènes,
Le Cyclope, Pénélope). Reste un épisode,
l'un des plus délicats à traiter quant à
la forme, celui dit des Bœufs du Soleil, pour lequel
c'est le texte de la traduction d'Auguste Morel qui a été
repris.
Face à cet impressionnant
concours de compétences, chaque lecteur pourra s'interroger
sur la pertinence de tel ou tel choix (il arrive que les solutions
retenues, parfois en rupture délibérée avec
la première traduction, surprennent) ; on peut également
douter du parallémisme entre les options propres à
tel ou tel membre de l'équipe de traducteurs et le souci
de “ coller ” étroitement aux changements
de points de vue souhaités par l'auteur. Mais c'est sur
le souffle qui, de l'ouverture au soliloque final, anime le roman
et lui donne sa cohérence que portera le jugement le plus
recevable.
Le premier mérite de cette
aventure peu commune est, pour l'heure, de fournir une nouvelle
occasion de plonger dans une œuvre qui est loin d'avoir livré
toutes ses richesses.
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JORGE LUIS BORGES |
Dans les pages d'Ulysse
bouillone la réalité totale avec un vacarme de
manège ; non point la médiocre réalité
de ceux qui ne voient dans le monde que les opérations
abstraites de l'âme et la peur ambitieuse de ne pas se
superposer à la mort, ni cette autre réalité
approximative qui pénètre nos sens et dans laquelle
coexistent le trottoir et notre chair, la citerne et la lune.
En lui, se trouve la dualité de l'existence, cette inquiétude
ontologique qui ne s'étonne pas seulement d'être,
mais d'être dans ce monde précis, fait de corridors
et de mots, de cartes à jouer et d'inscriptions électriques
dans la limpidité des nuits. Dans aucun livre — à
l'exception de ceux qu'a écrits Ramón — nous
ne trouvons le témoignage de la présence effective
des choses avec une si convaincante fermeté. Ces choses,
ici, sont toutes latentes et la diction de chaque mot les fait
surgir habilement et nous déconcerte par son bref avènement.
☐ « L' Ulysse de James Joyce »,
chronique publiée dans la revue « Proa »,
in : Œuvres complètes (tome 1, pp. 872-873),
Paris : Gallimard (La Pléiade), 1993 |
MICHEL BUTOR | Dans une journée de Dublin,
il est possible de retrouver L'Odyssée tout entière.
Au milieu de l'étrangeté contemporaine se réincarnent
les anciens mythes et les rapports qu'ils expriment restent universels
et éternels. C'est Stuart Gilbert, je pense, qui a le
premier signalé l'importance que prend le mot métempsychose
dans le cours du livre. Au moment du lever de son mari, Molly
Bloom lui demande la signification de ce mot qu'elle déforme.
Et tout au long de la journée, ce mot ou des mots associés
résonneront dans l'esprit du journaliste. A travers ce
vieux rêve du retour s'exprime le dur besoin de durer,
d'échapper à la fatale érosion du temps.
Il peut être considéré comme une mauvaise
interprétation de cette soif de structures fondamentales
organisant les âges et leurs détours. « L'Histoire
est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller »,
déclare Stephen. Cela ne suffirait-il pas à nous
persuader qu'Ulysses a des intentions magiques ou gnostiques ?
☐ « L'archipel Joyce », in : Essais sur les modernes,
Paris : Gallimard (Idées, 61), 1964 (p. 260) | VLADIMIR NABOKOV | Quel est […] le thème
central [d'Ulysse] ? Il est très simple :
1-
Le passé sans espoir : le fils nouveau-né
de Bloom est mort il y a longtemps, mais son cerveau et son sang
en gardent la vision.
2-
Le ridicule et tragique présent : Bloom aime toujours
sa femme Molly, mais il laisse le Destin agir à sa guise.
Il sait que dans l'après-midi, à quatre heures
et demie de cette journée de la mi-juin, Boylan, le fougueux
impresario, l'organisateur de concerts, rendra visite à
Molly, et Bloom ne fait rien pour l'empêcher. Il tente
sur la pointe des pieds de ne pas croiser le chemin du Destin,
mais tout au long de la journée il est continuellement
sur le point de tomber sur Boylan.
3-
Le pathétique futur : Bloom croise aussi le chemin
d'un autre jeune homme, Stephen Dedalus. Bloom prend peu à
peu conscience du fait qu'il faut peut-être voir là
une autre petite attention du Destin. Si la femme doit
avoir un amant, alors mieux vaudrait que ce soit le jeune homme
sensible, l'artiste qu'est Stephen plutôt que le vulgaire
Boylan. Stephen pourrait en effet donner des leçons à
Molly, l'aider à travailler sa prononciation italienne,
très utile dans la profession de chanteuse, bref son influence
pourrait affiner Molly, songe pathétiquement Bloom.
Voilà le thème
central : Bloom et le Destin.
☐ « James Joyce (1882-1941) : Ulysse (1922) », in :
Littératures I, Paris : Livre de poche
(Biblio-Essais, 4065), 1987 (pp. 387-388) | VIRGINIA WOOLF | Je devrais lire Ulysse
et en faire, pour moi, le procès, pour ou contre. Jusqu'ici j'en
ai lu deux cents pages, pas tout à fait le tiers. J'ai
été amusée, stimulée, séduite,
intéressées par les deux ou trois premiers chapitres
jusqu'à la fin de la scène du cimetière ;
puis embarrassée, assommée, irritée et
déçue par cet écœurant étudiant qui
gratte ses boutons. Dire que Tom [T.S. Eliot], le grand Tom, trouve
qu'on peut comparer cela à Guerre et Paix !
☐ « Journal
d'un écrivain » — 16 août
1922 ; Paris : 10/18, 2000 (p. 85)
Ainsi
Joyce est mort. Joyce qui avait à peu près quinze jours
de moins que moi. Je me souviens de Miss Weaver avec ses gants de
laine, déposant le manuscrit dactylographié d’Ulysse sur
notre table à thé, à Hogarth House. (…)
Allions-nous consacrer nos existences à l’édition
de ce livre ? (…) Je le rangeai dans le tiroir du
secrétaire de marqueterie. Un jour Katherine Mansfield vint me
voir et je le sortis. Elle commença à lire, à se
moquer, puis déclara brusquement : « Mais il y a
quelque chose là-dedans. » Une scène,
j’imagine, qui devrait figurer dans l’histoire de la
littérature. Il évoluait dans notre entourage mais je ne
l’ai jamais rencontré. Et puis je me souviens de Tom
(…) disant (le livre était déjà
publié) : « Que peut-on écrire,
après avoir réussi l’immense prodige de ce dernier
chapitre ? » Il était pour la première
fois, à ma connaissance, transporté, enthousiaste.
J’achetai le livre recouvert de papier bleu et le lus ici un
été, je crois, avec des frissons
d’émerveillement, de découverte et de nouveau avec
de longs intervalles de prodigieux ennui. Cela remonte à une
époque préhistorique. Et maintenant tous les beaux
messieurs sont en train de fourbir à neuf leurs opinions, et les
livres, je suppose, prennent leur rang dans la longue procession.
☐ « Journal d'un écrivain » — 15 février 1941 ; Paris : 10/18, 2000 (pp. 569-570) |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Ulysses »,
Paris : Shakespeare and Company, 1922
| - « Ulysse »
trad. de l'anglais par Auguste Morel assisté par Stuart
Gilbert (trad. revue par Valery Larbaud avec la collaboration
de l'auteur), Paris : La Maison des amis du livre (Adrienne
Monnier), 1929
- « Ulysse »
trad. de l'anglais par Auguste Morel assisté par Stuart
Gilbert (trad. revue par Valery Larbaud avec la collaboration
de l'auteur), in Œuvres, tome II, éd. sous la dir. de Jacques Aubert, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1995
- « Ulysse »
trad. de l'anglais par Auguste Morel […], Paris : Gallimard (Folio, 2830),
1996
| - « Ulysse »
nouvelle éd. sous la dir. de Jacques Aubert, Paris :
Gallimard (Folio, 4457), 2006
- « Ulysse »
nouvelle éd. sous la dir. de Jacques Aubert, enrichie d'un Dossier (Chronologie,
Notice sur l'histoire du texte, Schémas explicatifs,
Bibliographie, Notices, Notes, Plans de Dublin, Index), Paris :
Gallimard (Folio classique, 5641), 2013
| - « Lettres à Nora », Paris : Payot & Rivages (Petite bibliothèque, 741), 2012
| - Homère « Odyssée »,
Paris : Gallimard (Folio classique, 3235), 2003
| - Frank Budgen, « James Joyce et
la création d'Ulysse », Paris : Denoël, 2004
- Anthony Burgess, « Au sujet de James Joyce », Paris : Le Serpent à plumes, 2008
- Don Gifford, « Ulysses annotated » revised and expanded ed., Berkeley : University of California press, 2008
- Adrien Le Bihan, « Je naviguerai vers l'autel de Joyce », Espelette : Cherche-bruit, 2010
- Adrien, « James Joyce travesti par trois clercs parisiens », Espelette : Cherche-bruit, 2011
- Julián Ríos, « Chez Ulysse », Auch : Tristram, 2007
- Italo Svevo, « Ulysse est né à Trieste », Bordeaux : Finitude,
2004
- Enrique Vila-Matas, « Dublinesca », Paris : Christian Bourgois, 2010
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mise-à-jour : 31 mars 2017 |

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