L'isolement / Jean-Yves Masson. - Lagrasse : Verdier, 2014. - 235 p. ; 18 cm. - (Verdier poche). ISBN 978-2-86432-747-9
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| … il n'y avait plus, sur l'île, ni passé ni avenir …
p. 154 |
En
Grèce, sous la dictature du général
Metaxás, deux amants tenus pour politiquement engagés
sont relégués dans un village de pêcheurs
— Saint-Nicolas, sur la côte orientale de la
Crète — où toute communication avec le reste
du monde leur est rigoureusement interdite.
Passés
quelques mois de villégiature forcée mais non
dépourvue d'agrément, les relégués sont
conduits sur un îlot proche où subsiste une
communauté de lépreux : déplacement contraint
pour elle, qui est suspectée d'avoir contracté la
maladie ; déplacement choisi pour lui qui, surmontés l'effarement et le désespoir, décide de
rejoindre son amour.Roman
d'amour ou fable philosophique, le récit tend au poème et
dresse des images où l'espoir et la peur se heurtent,
loin du
conflit qui déchire le monde et dont ne parviennent sur
l'île des lépreux que de faibles et incertaines
rumeurs : « Il nous semblait incroyable …
que le monde fût en guerre ; mais aussi, nous portions
inscrite en nous la catastrophe, et je ne sais comment justifier
l'impression persistante que nous l'avions en quelque sorte
anticipée » (p. 188). Il
existe, non loin de Saint-Nicolas, une petite île
fortifiée par les Vénitiens au XVIe siècle. Par
son emplacement stratégique, l'îlot
— Spinalonga — a joué un rôle
déterminant dans la confrontation entre forces
vénitiennes et turques; entre 1903 et 1957, des lépreux y
ont été relégués et y ont vécu en
quasi-autarcie. | | “
Vies et morts d'un Crétois lépreux ” transcrit et
traduit du grec d'après le récit d'Epaminondas
Remoundakis par Maurice Born et Marianne Gabriel, Toulouse :
Anacharsis (Famagouste), 2015 | | L'île du silence
— (Το νησί της
σιωπής, 1958) —, de la
réalisatrice grecque Líla Kourkoulákou relate la
vie quotidienne des derniers occupants de Spinalonga ; ce film, auquel
ont participé de véritables patients, a été
sélectionné pour la Mostra de Venise en 1958. | | Dernières paroles (Letzte Worte, 1967) de Werner Herzog, évoque le départ du dernier habitant de Spinalonga. | | L'ordre
(1973) réalisé par Jean-Daniel Pollet avec le concours de
Maurice Born propose une réflexion sur la maladie, la
relégation, la peur et l'indifférence. |
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EXTRAITS |
Ce fut encore le pope qui nous indiqua un grand bois de palmiers
que nous pouvions atteindre en dépassant à peine la
limite qui nous avait été fixée. Nous
utilisâmes pour nous y rendre de vieux vélos encore en
état de marche que nous prêtèrent nos voisins les
plus proches. Cette palmeraie était célèbre, et
n'importe quel paysan rencontré sur le chemin en indiquait sans
hésiter la direction. Dans la pleine chaleur de
l'été, ces arbres vieux de plusieurs siècles
formaient un dais de grandes palmes qui se balançaient
lourdement au moindre souffle de vent marin avec une solennité
presque cérémonieuse ; la lumière qu'ils
laissaient filtrer était d'une incroyable douceur, le sol
sablonneux étouffait le bruit des pas et, vue de loin entre les
troncs d'arbres, la mer elle aussi était une masse silencieuse
et compacte qui dormait d'un sommeil mat. Ce bois était vraiment
un lieu magique, un endroit sacré où tous ces arbres
étaient autant d'êtres vivants formant une
communauté sereine, et où la moindre présence
humaine eût aussitôt pris le sens d'un signe divin ;
mais il était désert. Les palmiers sont très rares
en Crète et sont souvent de taille modeste ; la
présence d'un seul d'entre eux, dès qu'il atteint
d'importantes proportions, semble déjà l'effet d'une
faveur particulière de la nature. Mais un bois entier, si loin
des climats tropicaux, paraissait un véritable prodige. Il y
avait là comme la promesse d'une Afrique lointaine, une
communication secrète avec des lieux que nous ne connaissions
pas, auxquels nous ne pouvions que rêver. Ce bois était
une utopie, et nous avions besoin de tels lieux. Je ne sais combien de
fois nous y retournâmes, cinq, six, peut-être plus ;
nous allions à la rencontre des démons, nous fuyions le
monde des hommes. Les dieux de ce bois ne furent pour nous que des
souffles de vent, des craquements de branches, et la chute des fruits
dans le silence. Les noix qui tombaient ainsi sur le sol
n'étaient pas consommables, et peut-être était-ce
un bon symbole de notre recours à ces lieux ; tous ces
arbres étaient stériles, ils protégeaient
seulement notre attente. Mais ils formaient aussi un bois chaste que
nous profanions peut-être par notre présence, nos
caresses, nos enlacements.
☐ pp. 101-103 |
Un interminable crépuscule donnait une couleur noire
à la mer parcourue de reflets blancs, et le petit phare de la
courte jetée du port clignotait d'une pauvre lumière. Le
capitaine ne me dit rien de plus. Sur le quai se trouvaient seulement
deux policiers, qui se tenaient en retrait. Le canot démarra. Au
même moment, je crus entendre sonner les cloches du village, mais
le moteur faisait trop de bruit pour que je puisse dire si
c'était une hallucination ou si j'avais besoin de croire qu'un
signe d'adieu, même fortuit, accompagnait mon départ. Je
vis s'éloigner la côte, infiniment belle, je regardai en
haut de la colline la maison où je venais de traverser tant de
journées étranges et repassai dans ma tête en un
instant tout ce qui m'avait amené là. Je pensai à
ma mère, à son inquiétude, au choix que j'aurais
pu faire de revenir, mais je n'eus pas de regret. Je me sentais
ému et j'appréhendais ce qui allait venir, pensant
surtout aux paroles du capitaine qui avait dit : « Vous
verrez bien si l'on vous accepte. » Je craignais aussi de
trouver Marina changée, quoiqu'elle ne fût pas partie
depuis longtemps.
L'homme
qui tenait la barre ne me regardait pas. Il alluma un petit phare
à pétrole qui éclairait un peu la mer, à
l'avant. On y voyait encore assez pour naviguer sans peine
jusqu'à l'île, où l'on apercevait maintenant un feu
qui venait de s'allumer.
☐ pp. 138-139 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « L'isolement », Lagrasse : Verdier, 1996
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mise-à-jour : 29 novembre 2018 |
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