Louise Michel

Mémoires (1886)

Gallimard - Folio Histoire, 304

Paris, 2021

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Nouvelle-Calédonie
île-prison
parutions 2021
Mémoires (1886) / Louise Michel ; édition établie, présentée et annotée par Claude Rétat. - Paris : Gallimard, 2021. - 576 p. ; 18 cm. - (Folio : Histoire, 304).
ISBN 978-2-07-289091-8
… si Dieu te disait : D'où viens-tu ?
Tu répondrais : Je viens de la nuit où l'on souffre.


Victor Hugo (1871), cité p. 471
Citoyenne ! votre évangile,
On meurt pour ! c'est l'Honneur ! (…)
Louise Michel est très bien.

Paul Verlaine (1886), cité p. 475

La présentation de Claude Rétat éclaire l'irréductible singularité de ces Mémoires : “ pour décrire sa propre entreprise d'investigation sur elle-même, [Louise Michel] risque le mot, novateur et révélateur, de psychobiologie ” (1). L'écoulement du temps  est souvent malmené, mais le brouillage des repères chronologiques met en évidence l'extrême plasticité d'un esprit ouvert à toutes les nouveautés et dans le même temps d'une indéfectible loyauté — à ses valeurs et à ceux qui les ont en partage. Mouvement et action priment. Ainsi, sur le point d'embarquer à Rochefort pour la Nouvelle-Calédonie Louise Michel aimerait agiter l'écharpe rouge de la Commune pour saluer les amis venus en barque lui adresser un dernier adieu : l'écharpe enfermée dans ses bagages reste introuvable, elle doit donc se contenter d'agiter un voile noir. Et, sans transition, le récit saute au destin de l'écharpe rouge retrouvée quelques mois plus tard de l'autre côté du monde, puis “ divisée, (…) en deux morceaux, une nuit où deux Canaques, avant d'aller rejoindre les leurs, insurgés contre les Blancs, avaient voulu me dire adieu ”. Etroit parallélisme qui se poursuit dans l'inquiétude quant au sort des deux fugitifs : “ c'étaient des braves, de ceux que blancs ou noirs aiment les Valkiries ” (2).

Brièvement évoqué, le séjour en Nouvelle-Calédonie (1873-1880) n'est jamais pittoresque ni exotique. Comme Louise Michel était chez elle à Paris, où pourtant, elle se faisait remarquer par son “ doux et lent parler de Lorraine ” (3), elle est chez elle en Nouvelle-Calédonie, proche de tous : déportés politiques ou de droit commun, colons ou Canaques. Avec chacun, la relation est de plain pied — dans l'hostilité ou l'amitié mais sans préjugé sinon ceux que fondent la solidarité dans la douleur ou dans le combat, et le rejet de toute forme de pouvoir.

Les sujets qui éveillent la curiosité et l'intérêt de Louise Michel sont nombreux : la vie pénitentiaire, la colonisation, le monde canaque, une nature exubérante (arbres, fruits, insectes, oiseaux, serpents), le climat, les cyclones — “ le tonnerre, les rauquements des flots, le canon d'alarme dans la rade, le bruit de l'eau versée par torrents, les énormes souffles du vent, tout cela n'est plus qu'un seul bruit, immense, superbe ” (4). C'est un tableau animé où les sujets se bousculent et s'enchaînent avec vivacité : on passe d'un échange sur la question canaque à une discussion des mérites comparés de Molière et de Shakespeare. Le monde s'élargit. Soif de progrès et de liberté. Ces “ Mémoires sont tendus, ainsi, entre le témoignage sur l'histoire, l'investigagion passionnée sur soi-même et la vision d'une transfiguration en force révolutionnaire à l'état pur, celle qui va, celle que rien n'arrête … ” (5).

1.Présentation, p. 24
2.Mémoires, Deuxième partie, p. 234
3.Charles de Sivry, cité en note p. 474
4.Mémoires, Deuxième partie, p. 266
5.Claude Rétat, Présentation, p. 28
NOTE DE L'ÉDITEUR : Celle que l'on surnomma en son temps la Vierge Rouge reste un objet de fascination : qu'il s'agisse de condamner son tempérament exalté lors de la Commune de Paris ou d'admirer son héroïsme, de considérer son jugement politique et son activisme  social ou d'apprécier l'institutrice anticonformiste, l'image a gardé tout son éclat.

Le msytère “ Louise Michel ” a fait couler beaucoup d'encre. Les biographies romancées et les prétendues autobiographies foisonnent. Pour les écrire, chacun pioche dans les textes de la révolutionnaire, se sert, gomme ou remanie … Comme si, pour faire connaître la “ vie ” de Louise Michel, on commençait par oublier qu'elle en a été elle-même l'autrice. Comme s'il fallait commencer par la faire taire — au fond, comme si elle dérangeait toujours.

Dans ses “ Mémoires ” de 1886, on découvre une Louise Michel tour à tour adolescente facétieuse, institutrice féministe, révolutionnaire patentée, déportée en Nouvelle-Calédonie, combattante anarchiste, passionnée d'art et de science, enthousiaste de la nature. On découvre aussi la Louise Michel qui pense, qui parle et qui écrit, la plume acérée, la sensibilité à vif, la conscience intrépide.

EXTRAIT De temps à autre, le dimanche, pendant mes cours canaques, j'apercevais à la fenêtre la tête de M. Simon et j'étais sûre de recevoir après ce qui nous manquait, blanc, planchettes pour sculpter, cahiers, etc., il y avait même en plus des pétards, du tabac et autres gâteries pour les Tayos.

Quant à Mme Simon, aux institutrices de Nouméa et à d'autres dames encore, elles savent, comme les amis de 71 qui sont restés là-bas, combien leur souvenir m'est cher : mais faut-il tout avouer ? Eh bien, ce sont mes amis noirs surtout que je regrette, les sauvages aux yeux brillants, au cœur d'enfant. Eh bien, oui, je les aimais et je les aime, et ma foi ceux qui m'accusaient au temps de la révolte, de leur souhaiter la conquête de leur liberté avaient raison.

La conquête de leur liberté ! Est-ce que c'est possible avant qu'ils aient donné de telles preuves d'intelligence et de courage. Qu'on en finisse avec la supériorité qui ne se manifeste que par la destruction !

p. 280
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même », Paris : F. Roy, 1886
  • « Je vous écris de ma nuit : correspondance générale de Louise Michel, 1850-1904 » édition établie, annotée et présentée par Xavière Gauthier, Paris : Les Éditions de Paris, 1999, 2005
  • Louise Michel, « Aux amis d'Europe : Légendes et chansons de gestes canaques », Nouméa : Grain de sable, 1996
  • Louise Michel, « Le livre du bagne » textes établis et présentés par Véronique Fau-Vicenti, Lyon : Presses universitaires de Lyon, 2001
  • « Louise Michel : exil en Nouvelle-Calédonie » textes rassemblés et présentés par Émilie Cappella, Paris : Magellan et Cie (Traces & fragments), 2005
  • « Nous reviendrons, foule sans nombre, Louise Michel à Victor Hugo : lettres de prison et du bagne (1871-1879) » choix et présentation de Virginie Berling, Paris : TriArtis (Scènes intempestives à Grignan), 2016

mise-à-jour : 29 mars 2022
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