Au
vent de la piroguière ; Tifaifai / Flora Aurima
Devatine ; préface de Thanh-Vân Ton That. -
Paris : Bruno Doucey, 2016. - 140 p. ; 18 cm. -
(L'Autre langue). ISBN 978-2-36229-129-6
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| … j'ai imaginaire sous influence de vagues
☐ Silence on rêve, p. 122 |
La piroguière
connaît la mer et les dangers de la vague, du récif.
Pour Flora Aurima Devatine, la pirogue et la vague renvoient à
une enfance enchantée — où l'enchantement
était à la mesure des dangers qui l'accompagnaient :
la vague en mer et, à terre comme en mer, le vent susceptible de
fragiliser ou détruire récoltes et habitations. Ce temps
d'enfance était également temps de la parole où se
perpétuait la présence des Anciens.
Les
études à Papeete d'abord — très loin de
la terre familiale de Temoto'i — puis à Montpellier
consacrent une rupture majeure avec le monde de l'enfance, de la vague
et de la parole.
Viendra la poésie par laquelle Flora
Aurima Devatine tresse temps et horizons “ en deça et
au-delà ” pour ouvrir des “ chemins de
partage ”. ❙ | Le recueil se compose de textes édités en 1980 (Humeurs) et 1998 (Tergiversations et rêveries de l'écriture orale),
de textes épars parus entre 2003 et 2016, d'inédits et de
textes recomposés à quatre mains par Flora Aurima
Devatine et sa préfacière Thanh-Vân Ton That (Patchwork — Tifaifai). |
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THANH-VÂN TON THAT : […]
[Flora Aurima Devatine,] l'enfant du Pari 1 (bien
loin de Paris …) grandit dans la propriété
entretenue par le père sur la presqu'île sauvage, battue
par les flots, aux trésors improbables échoués sur
le sable où les crabes fossoyeurs filent en diagonale avant de
disparaître dans un trou, bout de terre aux longs cocotiers
courbés par les tempêtes, refuge des Robinsons du XXe
siècle qui ont réalisé leur rêve fou de
retour à la nature. La petite fille fragile, à la
santé incertaine, fera ses études dans le premier
lycée ouvert en 1958 2
puis à l'université de Montpellier, nourrie des
classiques de la littératures françaises mais enseignera
la langue et la littérature espagnoles. Durant ces
années, elle restera fidèle à son île,
à ses racines, là où l'écriture n'est pas
naturelle et où il faut sauver la mémoire et la parole
des Anciens en les trahissant malgré eux lorsque la page
emprisonne ce qu'ils ont bien voulu livrer.
[…]
C'est
une femme qui écrit, la silhouette de l'enfant sur la pirogue du
père ballottée par le vent mauvais et franchissant la
passe dangereuse, la jeune fille rêveuse puis l'épouse
lucide, la mère (tahitienne mater familias),
pilier inébranlable de la maison (le
“ poteau-mitan ” aurait dit Césaire)
même quand le cyclone a arraché son toit.
[…]
La
poésie de Flora chante la nature, la famille, les sensations,
l'élan de la vie mais aussi le doute, la fatigue du corps et de
l'esprit. Cependant le crépuscule est une promesse
d'aurore :
Cette nuit, je partirai. Je reviendrai à la saison des mangues, Pour repartir à la saison des vents. ☐ Préface, pp. 9-11
1. | “
Te Pari : nom donné à l'extrême sud de la
presqu'île de Tai'arapu. C'est la partie non habitée du
Fenua 'Aihere, à cheval sur les communes de Tautira et de
Teahupo'o, et constituée de falaises tombant à pic dans
la mer ; des lieux biens connus de l'auteure. ” — Glossaire, p. 135 | 2. | A
Papeete — Ouverte en 1905 l'Ecole centrale est devenue
Collège Paul Gauguin en 1953, puis Lycée Paul Gauguin en
1960 (après qu'une classe de seconde ait été
créée en 1958). |
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EXTRAIT |
Dérive
Je me nourrissais de souvenirs, Par les vallées, par la pente des collines, par les cimes des montagnes, Par les pirogues des habitants sur la côte, s'apprêtant au départ, Par les chargements en victuailles, taro, tarua, fe'i, 'uru, cocos, En tari, ta'amu, pe'eta, en nasse de poissons et régimes de bananes.
Je roule, je tangue, j'erre, je dérive, Sur ma pirogue sur l'eau, où je suis, Je pense, je rêve, je tresse, je relie sans fin, La corde rompue avec Temoto'i.
J'écris Temoto'i aux liens rompus, J'écris Temoto'i aux cordons arrachés, J'écris Temoto'i en “ lieu d'exil ”, “ la langue française ”.
J'écris, je panse mes déchirements Sur l'eau qui me porte, où la solitude m'est demeure, Où la solitude me fait brise du large, Où la solitude m'élève liberté en expansion.
☐ p. 69 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | | - «
Problèmes rencontrés en Polynésie pour la
conservation du patrimoine culturel et le développement des
cultures océaniennes : évaluation et propositions
» (UNESCO, 1977), Bulletin de la Sté des études
océaniennes (Papeete), n° 206, mars 1979
- « La mémoire polynésienne, une création »,
in La Mémoire polynésienne, l'apport de l'Autre, actes du Colloque organisé
par l'association Racines (Musée de Tahiti et des îles,
13-14 mars 1992), Papeete : Racines, 1992
- « Récit d'une
communication avec les esprits hi'ohi'o sur deux
pratiques magiques : la parole et l'écriture »,
in Sylvie André (dir.), Magie
et fantastique dans le Pacifique, actes du Colloque organisé
par l'Université française du Pacifique (Papeete,
1-3 juin 1993), Papeete : Haere po no Tahiti, 1993
- « Rarahu, ou Le mariage
de Loti », in Supplément
au Mariage de Loti, Bulletin de la Sté des études
océaniennes (Papeete), n° 285-287, avril-septembre
2000
- « Te tino ? Le corps ? », in [Laboratoire de recherche en sciences humaines], De l'écriture au corps, Papeete : Au Vent des îles (Bulletin du LARSH, 1), 2002
- « De la confrontation
à l'héritage », in Riccardo Pineri (dir.),
Paul Gauguin, héritage
et confrontations, Actes du colloque international organisé
les 6, 7 et 8 mars 2003 par l'Université de la Polynésie
française, Papeete : Éd. Le Motu, 2003
- « Le Nom dans les
langues polynésiennes », in Serge Dunis (dir.),
Mythes et réalités
en Polynésie, II : Éloge du métissage,
Papeete : Haere po, 2003
- « Le Temps-espace », in [Laboratoire de recherche en sciences humaines], L'espace-temps, Papeete : Au Vent des îles (Bulletin du LARSH, 2), 2005
- « Langues, oralité, litterama'ohi : ramées de littérature(s) », in Tahiti : regards intérieurs, textes réunis par Elise Huffer et Bruno Saura, Suva (Fidji) : University of the South Pacific, 2006
- « Three poems »
translated by Jean Toyama, in Frank Stewart, Kareva Mateata-Allain
and Alexander Dale Mawyer (ed.), Varua tupu : new writing
from French Polynesia, Honolulu : University of Hawai'i
press (Manoa), 2006
- « Le charme », in [collectif], Partir sans passeport, Fort-de-France : Desnel, 2011
- « Le
fleuve caché » poème de Flora Devatine
accompagnant des acryliques d'Annick Le Thoër — coll. Le Livre pauvre (Daniel Leuwers), 2018
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Flora Aurima-Devatine, Estelle Castro-Koshy,
« Poétiques, éthique et transmission sur la
toile : l’univers littéraire et le patrimoine
culturel de Flora Aurima-Devatine, Nathalie Heirani Salmon-Hudry et
Chantal Spitz », Anthrovision, 4.1 | 2016 [en ligne] | Sur le site « île en île » : dossier Flora Devatine |
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mise-à-jour : 30 mai 2019 |
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