Voyage à Rodrigue,
le transit de Vénus de 1761 : la mission astronomique
de l'abbé Pingré dans l'océan Indien / Alexandre-Gui
Pingré ; édition critique établie et
présentée par Sophie Hoarau, Marie-Paule Janiçon
et Jean-Michel Racault. - Paris : Le Publieur, 2004. - 373 p. :
ill., cartes ; 24 cm. - (Bibliothèque universitaire
& francophone).
ISBN 2-84784-122-9
|
Si l'abbé Pingré
s'était borné, dans sa relation, au seul objectif
officiel de sa mission — l'observation astronomique du passage
de Vénus entre la terre et le soleil —, il trouverait
aujourd'hui peu de lecteurs ; mais il a consigné
sur son journal les principaux faits ayant retenu son attention
sur l'île Rodrigue, à l'île de France (Maurice)
et à l'île Bourbon (La Réunion), ainsi que
durant la navigation de Lorient (port d'embarquement de la Compagnie
des Indes) à Lisbonne (terme de son voyage maritime d'où
il regagne Paris par voie de terre).
Le Voyage à Rodrigue
porte donc sur les trois îles de l'océan Indien — géographie,
climat, faune, flore, … L'intérêt de ce précieux
témoignage tient pour une large part à la vivacité
du regard de l'auteur, à ses qualités d'observation
et d'analyse, à sa maîtrise des principales disciplines
scientifiques 1 de l'époque et, surtout, à
son inlassable curiosité. Les historiens notent en outre
que cette relation comble une lacune et marque un utile jalon
chronologique avant le séjour de Bernardin
de Saint-Pierre (1768-1770). On notera enfin que Pingré
avait soigneusement préparé son voyage et ne manque
pas de renvoyer aux écrits de certains de ses prédécesseurs,
François Leguat par
exemple. 1. | L'abbé
Pingré l'un des grands spécialistes d'une question
cruciale en son temps, la détermination des longitudes ; durant
le voyage aller il eut ainsi l'occasion de constater l'inexactitude de
la position des îles du Cap Vert sur les cartes marines
utilisées pour l'expédition : « Il fut
décidé unanimement que ces îles étaient
très mal placées sur la carte. Il ne faut cependant pas
en conclure que ce soit la faute du géographe qui a
dressé cette carte : il a pu manquer de mémoires. La
seule conséquence que je prétends tirer de notre
accident, est qu'il serait nécessaire de travailler à
rectifier la position de ces îles » (p. 61).
|
|
INTRODUCTION : […]
Le récit de Pingré
est le résultat ou plutôt la conséquence
annexe de l'une de ces grandes expéditions scientifiques
caractéristiques de la pensée du XVIIIe siècle,
période qui fut leur âge d'or. L'ambition de tout
connaître et de tout comprendre implique que toutes choses
soient préalablement inventoriées, mesurées,
décrites, classées et nommées. Afin de réaliser
ce programme de totalisation du savoir, la science des Lumières
exige du savant, devenu voyageur, qu'il sorte du cadre confiné
de son cabinet ou de sa bibliothèque pour parcourir concrètement
l'espace du globe. Sans exclure entièrement d'éventuelles
préoccupations commerciales, diplomatiques, voire militaires,
les grandes expéditions de circumnavigation de la fin
du siècle poursuivent un but au sens propre du terme encyclopédique.
Le tour du monde y est l'occasion d'un « tour des
sciences » : les voyages de Bougainville, de
Cook ou de La Pérouse apportent une connaissance décisive
à la cosmographie, à la botanique, à la
zoologie, voire à l'ethnographie naissante, tout en revivifiant
d'une manière parfois involontaire, le vieux mythe du
bon sauvage, déplacé d'une Amérique en voie
de colonisation dont l'aura utopique s'affaiblit vers les rivages
neufs de la « Nouvelle Cythère »
polynésienne.
Ces pérégrinations
savantes, qui n'excluent pas le cas échéant la
rêverie primitiviste ou l'exotisme voluptueux, donnent
lieu en général à des publications de deux
types. Les unes purement techniques et réservées
à un cercle étroit de spécialistes, se bornent
à consigner les résultats des observations correspondant
à l'objet officiel de la mission. Les autres, s'adressant
à un public plus large, mettent à profit le déroulement
du voyage pour produire un reportage descriptif sur les contrées
traversées et parfois prennent l'aspect de récits
événementiels, voire de romans d'aventures vrais
auxquels se mêlent réflexions, conjectures et même
confidences personnelles.
[…]
Quant à la mission confiée
à l'abbé Pingré, elle le conduisit […]
dans l'océan Indien, d'abord à l'île Rodrigue,
la plus petite des Mascareignes, où il effectua ses observations,
puis dans les deux autres terres de l'archipel, l'île de
France et l'île Bourbon, aujourd'hui île Maurice
et île de La Réunion. [Ce] récit est demeuré
pour l'essentiel inédit à ce jour, peut-être
desservi par un titre trop restrictif qui ne correspond que très
partiellement à son contenu. Il est certain pourtant que
l'auteur en avait envisagé la publication, et une version
soigneusement corrigée du manuscrit initial avait été
préparée dans ce but. C'est ce texte que nous présentons
dans cette édition […].
[…]
☐ pp. 7-9
|
EXTRAIT |
Tous les poissons que j'ai nommés
sont bons à manger. Il y a cependant une saison de l'année
où la plupart deviennent poisons : c'est celle où
le corail est en fleur. Je me sers de l'expression seule
connue dans ces îles. L'escadre anglaise en fit une triste
expérience : j'ai dit plus haut qu'elle entra au
port de Rodrigue le 15 de septembre [1761] ; elle
en repartit le 25 de décembre, mais après avoir
perdu près de la moitié de son équipage
par des maladies qu'on a attribuées à l'usage immodéré
et indiscret du poisson dans une saison où il commençait
à être dangereux. La vieille passe alors
pour le poisson le plus suspect de tous. En pleine mer on pourrait
pêcher des thons, des bonites, des dorades,
des marsouins, etc., mais ces poissons approchent
rarement de la côte. Les requins sont plus hardis,
ils viennent jouer sur les récifs. François
Leguat s'était persuadé que les requins
de Rodrigue n'étaient pas malfaisants ; il
s'est, dit-il, souvent baigné avec ses compagnons, environné
de grandes troupes de requins sans qu'il leur soit arrivé
aucun mal. Il est possible que les requins de Rodrigue,
trouvant une multitude de poissons suffisante pour satisfaire
leur appétit glouton, soient moins friands de chair humaine,
mais je crois que le plus sûr est de ne pas s'y fier inconsidérément.
Un Noir de Rodrigue sortait d'une pirogue avec deux poissons
à la main, il lui restait un petit trajet de mer à
traverser où la profondeur de l'eau était tout
au plus d'un pied, un requin se trouva sur son passage, sauta
aux poissons et les enleva avec une partie de la main du pauvre
Noir.
☐ p. 181
|
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- Alexandre-Guy Pingré,
« Voyages dans les mers de l'Inde à l'occasion
du passage de Vénus sur le soleil en 1760-61 »
extraits du Voyage à Rodrigue, Bulletin de l'Académie
de La Réunion, vol. 5, 1922, pp. 141-173
- Alexandre-Guy Pingré,
« Courser Venus : voyage scientifique à l'île
Rodrigue » fragments du journal de voyage de l'abbé
Pingré, Sainte Clotilde (La Réunion) : ARS
Terres créoles, Rose Hill (Maurice) : Ed. de l'océan
Indien, 1993
- Jean-Michel Racault, « L'observation
du passage de Vénus sur le soleil : le voyage de
Pingré dans l'océan Indien », Dix-huitième
siècle, n° 22 (Voyager, explorer), 1990, pp. 107-120
|
|
mise-à-jour : 2 mars 2006 |

| |
|