Je
suis un ange venu du Nord / Linn Ullmann ; traduit du
norvégien par Hege Roel-Rousson et Pascale Rosier en
collaboration avec Anna Marek. - Arles : Actes sud, 2010. -
364 p. ; 22 cm. ISBN 978-2-7427-8522-3
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Au
cœur de l'hiver scandinave, Erika, Laura et Molly
— filles de trois mères
différentes — rendent visite à leur
père, un brillant médecin qui, au soir d'une vie bien
remplie, s'est retiré sur l'île d'Hammarsö
où, jeunes, elles passaient leurs vacances en famille.
Anecdotiques souvent, heureux parfois et parfois troublants, les
souvenirs d'enfance remontent, dominés par la figure distante
d'un père hors du commun.Linn Ullmann trace le portrait
d'une cellule familiale agitée de vives tensions affectives et
interroge la présomption d'innocence généralement
concédée à l'enfance — une
démarche proche de celle de William Golding dans « Sa majesté des mouches ».Mais
l'île fictive d'Hammarsö évoque nécessairement
Fårö, à mi-chemin des côtes suédoise et
finlandaise. Là, dans sa jeunesse, l'auteur a passé du
temps avec son père Ingmar Bergman et sa mère Liv
Ullmann. Il serait vain d'utiliser ce rappel pour tenter
d'élucider la trame romanesque ; on ne retiendra que la
possibilité de mettre en parallèle trois regards
portés sur un même microcosme
insulaire — ceux du père, de la mère et
de leur fille : pour chacun l'histoire (l'expérience, sa
perception et sa persistance dans le souvenir), était à
l'évidence distincte.
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EXTRAIT |
S'il
prenait à Dieu l'envie d'ouvrir son grand œil noir pour
jeter un regard vers la petite île d'Hammarsö, il serait
surpris de voir qu'il a créé un endroit si beau, si
érodé, pour ensuite l'oublier. Dieu a bien entendu
créé sur terre des endroits plus beaux et plus
érodés et, bien entendu, Hammarsö
n'est pas la seule île du globe que Dieu ait oubliée. La
vérité, c'est que lorsque Dieu a créé et
nommé chaque chose, chaque personne, chaque animal et chaque
lieu, en décidant si c'était bien ou mal, Hammarsö
n'était qu'un petit grain de poussière parmi tout ce que
Dieu a oublié de nommer. Etre oublié des hommes, c'est
douloureux ; être oublié de Dieu, c'est pour beaucoup
vivre dans la disgrâce, fixer l'abîme. Mais pour les
habitants de Hammarsö,
l'amnésie de Dieu n'avait pas été une si grande
catastrophe. Année après année, ils avaient
défriché la terre et cassé des pierres ; ils
avaient pioché, creusé et labouré, juste ce qu'il
fallait pour survivre, et ça suffisait plus ou moins ; les
hommes et les femmes partaient en mer chasser le phoque, parfois ils
revenaient, parfois pas. Telle était l'histoire de Hammarsö,
la même histoire que celle de n'importe quelle autre petite
île rebelle dans le monde. La faim et le labeur et les
tempêtes et les cris des enfants et la mort et la noyade, oui,
tout ça, mais à quoi pouvait-on s'attendre sur ce bout de
terre aride au milieu de la mer. Les habitants — de moins en
moins nombreux à mesure que les jeunes générations
partaient sur le continent — vivaient et se
réconciliaient avec les longs hivers, les plaines aussi
inhospitalières que les savanes africaines, les lacs pâles
et les vaches blanches et silencieuses aux grands yeux noirs, le chant
au-dessus de l'eau, à la fois beau et insupportable, les
histoires de morts qui ne trouvaient pas le repos et hantaient les
vieilles cuisines, les porcheries, les haies de lilas ou les
réduits sous les escaliers en colimaçon, terrorisant les
enfants et les chiens ; les habitants vivaient et se
réconciliaient (au moins en partie) avec un Dieu qui les avait
oubliés.
☐ pp. 202-203 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Et velsignet barn », Oslo : Forlaget Oktober, 2005
- Ingmar Bergman, « Cris et chuchotement [suivi de] Persona [et de] Le lien », Paris : Gallimard (Folio, 2620), 1994
- Liv Ulmann, « Devenir », Paris : Stock, 1977
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mise-à-jour : 30 novembre 2010 |

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