Aussi dérangeant qu'il
soit aux yeux de la société et des institutions,
Maurice Le Scouëzec se voit décerner, en 1930, le
Grand Prix de Madagascar de la Société des
Artistes Français. Il accepte non sans embarras et se
voit offrir un voyage à Madagascar où il sera reçu
par l'administration coloniale.
Le voyage à Madagascar relate et illustre le lent voyage en
vapeur de Marseille à Tamatave. Le Scouëzec y exprime
très directement son rejet de la société.
Avant même l'appareillage il s'en prend à la population
bigarrée de Marseille, mais c'est aux passagers privilégiés
de la première classe — le gros ponte colonial,
l'évêque, l'épicier, le notaire —
qu'il réserve les traits les plus violents.
Aux abords de Dar-es-Salam, l'air
du large prend insensiblement le pas sur la chronique sociale
vitriolée. Les îles sont proches. Zanzibar d'abord
— la petite ville arabo-indoue des négriers n'a
pas changé. Petites rues noires, pleines de cette odeur
de girofle et de vanille … Puis Moheli — un
fouillis de verdure coloniale, une petite baie où dans
l'eau verte transparente on voit d'énormes poissons circuler …
et la Grande Comore — on cuit sous les flamboyants, poursuivis
par l'odeur des gardénias.
Brève escale à
Nossi-Bé — oh ! les oranges et les mandarines.
Et c'est enfin la Grande Île — nous sommes dans
une mer de sang qui s'écoule le long du bord.
Les illustrations (25 aquarelles
et un fusain) sont à l'unisson du journal ; elles
soulignent les travers des compagnons d'une croisière
où Le Scouëzec s'est toujours senti en mauvaise compagnie …
À peine débarqué le cauchemar se poursuit :
Les gueules sont antipathiques,
gueules de hauts fonctionnaires à monocles, administrateurs, etc.
En somme, première définition que me donne un
splendide monsieur, Légion d'honneur, qui se présente,
nous nous présentons : d'après lui, l'île
a l'aspect d'une brique, la couleur et la fertilité. Suit
une quantité de détails entre autres :
— C'est un pays
de moustiques où le plus dangereux est le fonctionnaire …
Et un pays de cancans et d'histoires extraordinaires où,
comme en toutes les colonies françaises « il
faut avoir un père né avant soi ». C'est
logique, c'est un pays d'égalité.
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