Fille d'Haïti / Marie Vieux-Chauvet. - Léchelle : Zellige, 2014. - 286 p. ; 21 cm. - (Ayiti). ISBN 978-2-914773-63-8
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« Fille
d'Haïti », le premier roman de Marie Chauvet, a
été publié à Paris en 1954. Porté
par la voix de Lotus, jeune métisse qui peine à assumer
une filiation qui lui fait honte, le récit s'enrichit
progressivement en portant un regard sans concession sur les tensions
sociales qui déchirent Port-au-Prince — entre une
bourgeoisie accrochée à ses privilèges et un
prolétariat condamné au
dénuement.
Aiguillonnée par un amour auquel elle
s'efforce un temps de résister, Lotus s'engage avec une exigence
croissante dans un projet insurrectionnel dont l'idéal de
fraternité se heurte à la rivalité entre noirs et
mulâtres.
L'arrivée au pouvoir de François
Duvalier, trois ans après la parution du roman,
révèle la lucidité de l'auteur et sa
capacité d'écoute d'une société
étouffée dans ses contradictions. Mais l'épilogue,
« où la haine a enfin cédé la place
à la fraternité » témoigne d'un
optimisme excessif : François puis Jean-Claude Duvalier ont
subjugué le pays dans l'arbitraire et la violence entre 1957 et
1986 ; aujourd'hui encore l'apaisement reste un horizon.
Marie Chauvet a du quitter Haïti en 1968 ; elle est morte à New York en 1973.
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EXTRAIT |
Un soir, nous étions au dancing, tandis que Georges me
versait à boire, je le vis, tout à coup, perdre son
expression devenue presque sereine. Étonnée, je suivis
son regard et vis qu'autour de la piste de danse des bras noirs
posés sur le mur allongaient vers nous des mains suppliantes.
Des bras noueux, maigres, desséchés au bout desquels
pendaient comme de grands paquets d'os qui s'agitaient pour
quémander des sous.
Ces
mains décharnées nous entouraient, bordant le mur telles
d'horribles plantes vivantes. On ne voyait rien des corps auxquels
elles appartenaient, on ne voyait rien non plus des bouches qui
réclamaient aide et pitié, mais on les devinait
derrière le mur qui bordait la piste, tapis dans l'ombre comme
des bêtes affamées, pourris de syphilis, couverts de
loques et combien lamentables.
Une main secouée par un geste frénétique
s'accrocha tout à coup au bras d'un danseur. Pour lui faire
lâcher prise, l'homme, un noir d'environ trente ans, au doigt
duquel brillait un beau diamant, sortit de sa poche un petit revolver
et en frappa la main crispée sur sa manche. Aussitôt, le
bras se tordit de douleur, puis, lentement disparut. Alors, Georges,
repoussant la table, se leva.
À cet instant, j'eus la vision de ce qui allait se passer
entre Georges et cet homme. Je fermai les yeux. « Je vais
payer, je vais payer », me disais-je seulement, et mon
cœur qui sautait en moi jusqu'à mon cou m'étouffait
sous ses bonds.
Georges
avait pris l'homme par le revers de sa veste et ainsi aggrippé
à lui l'attirait, de toutes ses forces. Quand ils furent visage
contre visage, il lui cria : — À nous deux, maintenant.
☐ pp. 240-241 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE
- « Fille d'Haïti »,
Paris : Fasquelle, 1954
- « La
danse sur le volcan », Paris : Plon, 1957 ;
Paris : Maisonneuve & Larose et Emina Soleil, 2004
- « Fonds-des-Nègres »,
Port-au-Prince : Éd.
Henri Deschamps, 1961 ; Léchelle : Zellige, 2015
- « Amour,
colère et folie », Paris : Gallimard,
1968 ; Léchelle : Emina Soleil, 2005
- « Les rapaces »,
Port-au-Prince : Éd. Henri Deschamps, 1986 ; Léchelle : Zellige, 2017
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mise-à-jour : 26 novembre 2014 |

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