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LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT : [Ce] texte est animé par une volonté de rupture avec la tradition romanesque haïtienne. […] Dans Les Fous de Saint-Antoine, [l'intrigue] n'est qu'un fil ténu sur lequel l'écriture s'appuie pour dire la folie. […] La mort d'Antoine sert ainsi de prétexte à un double délire. D'une part celui du monde dans lequel le lecteur est plongé […]. D'autre part celui du narrateur et de l'écriture qui s'amusent, tout au long du récit, à bousculer ses repères romanesques les plus solides.

Ce refus de l'intrigue ouvre l'espace narratif à une thématique plurielle. Ce qu'on pourrait nommer histoire devient ainsi la chronique de tout un quartier, Saint-Antoine, saisi dans sa pauvreté, dans ses moindres mouvements. Dans chacune de ses pulsations, de jour comme de nuit.

[…]

Cependant, ce récit « voué à l'éparpillement » thématique retrouve son unité dans l'écriture même, qui devient ainsi fin dernière. Son processus de fonctionnement lui permet de rapprocher des segments narratifs qui, de prime abord, ne présentent pas de véritable lien entre eux. De plus, elle s'éloigne d'une certaine vision « tragicisante » à laquelle nous avait habitués le roman haïtien. A cette vision, elle substitue le sens de l'humour et de la parodie, un esprit de ludisme qui ne se dément pas dans tout le texte. Tout est déconstruit pour être reconstruit selon un rythme « fou » qui serre de près la thématique.

[…]

Il est quasi impossible de ne pas lire d'une seule lancée ce texte dans lequel se mêlent agréablement poésie et récit romanesque et qui, derrière un apparent désordre, révèle une bonne maîtrise de l'écriture.

☐ Notre Librairie, 133, janvier-avril 1998