Elisabeth O'Sullivan [Eibhlís Ní Schúilleabháin]

Lettres de la Grande Blasket

editions-dialogue.fr

Brest, 2011

bibliothèque insulaire

   
Irlande
parutions 2011
Lettres de la Grande Blasket / Elisabeth O'Sullivan ; introduction de Seán Ó Coileáin ; traduction de l'anglais (Irlande) et postface par Hervé Jaouen. - Brest : editions-dialogue.fr, 2011. - 180 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-918135-23-4
… un de ces beaux soirs il n'y aura plus personne sur cette île à part les lapins, et elle ne convient à aucune autre espèce d'êtres vivants, et les gens de l'île ne voient rien devant eux par les temps qui courent …

p. 114

Quelques kilomètres séparent les îles Blasket de la péninsule de Dingle au Sud-Ouest de l'Irlande ; mais la mer est rude et la traversée peut s'avérer difficile voire dangereuse, aujourd'hui encore. Pourtant une communauté s'est accrochée sur la Grande Île — Great Blasket Island, An Blascaod Mór en gaëlique — jusqu'en 1953, où les derniers résistants (une vingtaine) ont été définitivement rapatriés sur le continent. Cette aventure et son dénouement ont connu une singulière notoriété en raison du talent d'îliens qui ont trouvé les mots justes pour exprimer leur attachement à cette terre et au mode de vie en commun qui s'y était développé de longue date. Dès 1936, Raymond Queneau a fait connaître aux lecteurs français le récit de Maurice O'Sullivan, Vingt ans de jeunesse ; plus tard ont été traduits Tomás O'Crohan — L'homme des îles (1989) — et l'Autobiographie (1999) de Peig Sayers. Tout récemment enfin, Hervé Jaouen a pris l'initiative de traduire les lettres adressées en anglais par Elisabeth O'Sullivan à George Chambers qui s'était rendu sur l'île en 1931.

Ici s'exprime avec force l'intensité d'un déchirement. La première lettre est datée du 29 octobre 1931 et la dernière, écrite sur le continent, du 30 décembre 1951. Entre ces deux dates, Elisabeth O'Sullivan a vécu l'inéluctable déclin d'une communauté, ponctué d'instants proches de l'extase mystique et d'autres empreints d'angoisse, de désarroi et du dénuement le plus rigoureux. La vie intime de l'île s'y exprime sans apprêt : labeur des champs et de la grève, inquiétude quand les hommes prennent la mer, soins aux enfants et aux plus âgés, obsession de la mort — tout le monde profondément intéressé par les mystères de la mort (p. 35) —, vie sociale — il y a ici une maison qu'on appelle le « Parlement » (…) les hommes dans la force de l'âge s'y réunissent le soir … à parler politique et de tout ce qui se passe dans le monde (p. 63) —, accueil des touristes — les visiteurs —, relations avec l'autre côté ou la Grande Terre, et, comme les années passent, la fatalité du déclin — une autre maison de l'île a été fermée dernièrement … imaginez notre île sombrant de jour en jour (p. 120).

Elisabeth O'Sullivan, son mari et leur fille Niamh se sont résignés à quitter l'île en 1942. Le souvenir porte la marque des rigueurs endurées autant que de l'enchantement d'un monde perdu : « Quand le temps est mauvais ma jolie île ne me manque pas beaucoup mais par beau temps bien sûr je pense à ses beaux paysages que je n'ai jamais tant aimés que maintenant (…) oh comme je voudrais revoir mes parents encore une fois et tous mes amis et m'élancer à corps perdu encore une fois sur la Grève Blanche » (p. 135).

Comme tous les îliens, Elisabeth s'exprimait en gaëlique. L'anglais ne lui était pas naturel ; c'est dans cette langue pourtant que sont rédigées les lettres adressées à son ami George Chambers. Hervé Jaouen s'est attaché à respecter la tonalité d'une expression où la noblesse de pensée et de style l'emporte de beaucoup sur la maladresse. L'amour de l'Irlande et la familiarité avec le breton parlé ont soutenu ce bel exercice de traduction.
EXTRAITS
18 août 1931

(…)
Je suis sûre que vous n'aimeriez pas passer l'hiver ici. C'est un triste endroit en hiver, rien d'autre que la plaisante musique de la mer déchaînée et le vacarme du vent, mais c'est pour tout ça que je l'aime parce que, mon cher ami, rien ne vaut son chez-soi. Ma petite maison au pied de la montagne, et le jour où je devrai la quitter ne sera pas pour moi un jour plaisant. Je pense que ce jour-là mon cœur se brisera.
(…)


p. 16
8 décembre 1945

Plaise à Dieu que j'aille dans ma maison de l'île pour le Jour de l'An si j'en ai l'occasion et je verrai mes vieux parents et mes amis. Niamh m'a montré un livre il y a quelques jours avec dessus une photo de la vieille maison, et je pleurais presque en la regardant, cependant que le sable des souvenirs faisait s'écouler à travers ma mémoire ces images perdues de la mer si calme et les mouettes qui crient et les canots revenant de la Grande Terre et la Grève Blanche, blanche de sable blanc, et comment des bandes d'entre nous y jouaient ensemble comme une seule famille, tellement éparpillée maintenant et même plus un seul enfant sur ces sables blancs abandonnés. C'est malheureux. Qu'est-ce que vous en pensez ?

p. 136
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
Elisabeth O'Sullivan [Eibhlís  Ó Súilleabháin, 1911-1971]
  • « Letters from the Great Blasket » introduction by Seán Ó Coileáin, Cork : Mercier press, 1982
Les îles Blasket
  • Robin Flower, « The western island, or, The Great Blasket », Oxford : Oxford university press, 1978
  • Muiris Mac Conghail, « The Blaskets, a Kerry island library », Dublin : Country house, 1988
  • Séan O'Crohan [Seán Ó Criomhthain], « A day in our life », Oxford : Oxford university press, 1992
  • Tomás O'Crohan [Tomás Ó Criomhthain], « Island cross-talk, pages from a Blasket island diary », Oxford : Oxford university press, 1986
  • Tomás O'Crohan [Tomás Ó Criomhthain], « L'homme des îles », Paris : Payot, 1994
  • Micheál O'Guiheen, « A pity youth does not last », Oxford : Oxford univeristy press, 1981
  • Séamus Ó'Scannláin (ed.), « Poets and poetry of the Great Blasket = Filí agus filíocht an Bhlascaoid Mhóir », Cork : Mercier press, 2003
  • Maurice O'Sullivan, « Vingt ans de jeunesse », Rennes, 1997
  • Peig Sayers, « Peig : Autobiographie d'une grande conteuse irlandaise », Le Relecq-Kerhuon : An Here, 1999
  • Pádraig Tyers (ed.), « Blasket memories : the life of an Irish island community », Cork : Mercier press, 1998

mise-à-jour : 21 février 2011

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