Jean-Luc Raharimanana

Madagascar 1947, ill. de photos du Fonds Charles Ravoajanahary

Vents d'ailleurs / Tsipika [mail]

La Roque-d'Anthéron, Antananarivo, 2007

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édité dans l'océan Indien
Madagascar
parutions 2007
Madagascar, 1947 / Raharimanana ; photos du Fonds Charles Ravoajanahary. - La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs ; Antananarivo : Tsipika, 2007. - 62 p. : ill. ; 18 cm.
ISBN 978-2-911412-49-3
C’est un livre qui emporte le lecteur dans l’émotion.
Les historiens ne s’intéressent qu’aux faits.
Moi, je suis sur le terrain de la mémoire.

Jean-Luc Raharimanana
propos recueillis par Guillaume Bridet — Itinéraires 2009-2 [en ligne]

NOTE DE L'ÉDITEUR : Un document remarquable ! Le témoignage d'un écrivain engagé et des photos du Fonds Charles Ravoajanahary montrant Madagascar de la fin du XIXe siècle jusqu'en 1947 nous interrogent sur les rapports entre colonisés et colonisateur, entre pouvoir actuel et passé, sur le silence de part et d'autre, sur l'écriture de l'histoire par le Nord et la nécessité d'interroger cette histoire par le Sud …
       
Raharimanana est né en 1967 à Antananarivo. Licencié ès lettres en 1989, il travaille la même année avec la troupe de théâtre de Christiane Ramanantsoa, à l’Alliance française, à la mise en scène de sa pièce Le Prophète et le Président. Cependant, suite aux pressions exercées tout d’abord par le ministère de la Culture sur la troupe, ensuite par l’État malgache, l’Alliance française, craignant un « incident diplomatique », interdit toute représentation. Deux mois plus tard, Raharimanana obtient le prix de la meilleure nouvelle de Radio France Internationale (RFI) et accepte la bourse d’études qui lui permet de partir en France. La pièce, par la suite, sera reprise à Limoges et à Avignon, et mise en scène par Vincent Mambatchaka. Elle tournera pendant trois ans en Afrique, en France, au Canada et en Belgique. A son arrivée à Paris, il poursuit ses études tout d’abord à la Sorbonne, puis à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) où il obtient un DEA en littératures et civilisations dont le sujet porte sur les contes malgaches. Journaliste pigiste à RFI, il travaille sur un nouveau projet de pièce de théâtre,  prévoyant, entre autres, la création d’une école de théâtre à Madagascar et un programme de représentations échelonnées sur trois ans à travers le monde.
Il se tourne par la suite vers le professorat, enseigne le français et collabore à de multiples manifestations littéraires (notamment aux États-Unis, en France, en Italie, au Rwanda et à Madagascar), pédagogiques et journalistiques, qui révèlent toute la dimension du rôle de l’écrivain engagé. En 2002, Jean-Luc Raharimanana quitte son métier d’enseignant pour défendre son père, professeur d’histoire à l’université d’Antananarivo, arrêté puis torturé par les autorités malgaches suite à une émission radiophonique sur l’histoire de Madagascar. Après cette affaire, Raharimanana ressent d’autant plus la nécessité absolue de consacrer tout son temps à l’écriture, à la recherche et à la restitution de cette mémoire trahie par des récits où « se confondent mythe et réalité ».
       
Charles Ravoajanahary (1917-1996), est une grande figure de l’accession de Madagascar à l’indépendance. Très tôt, il eut conscience de l’importance de la mémoire dans l’histoire des nations opprimées. Ses premiers combats portèrent sur la reconnaissance de la culture et de l’histoire de son pays, contre le silence et l’interprétation imposés par le colonisateur. Professeur d’histoire au moment de l’indépendance, il fut longtemps directeur du département de langue et lettres malgaches de l’université d’Antananarivo. Il forma un nombre conséquent des futurs cadres de l’île. Membre fondateur de l’AKFM et du Monima, parrain du MFM, tous partis opposés au président Tsiranana, il encouragea en 1972, fidèle à ses engagements, le mouvement des étudiants qui mettra fin au régime néocolonial. Conseiller, garant de la légitimité d’un gouvernement issu de ce mouvement et en quête d’identité, il organisa en 1981 une grande exposition destinée à célébrer les « résistances malgaches » à travers leurs acteurs, les auteurs et les poètes, de l’insurrection des Menalamba en 1895 à la rébellion de 1947, du syndicaliste Ralaimongo aux figures du VVS et du MDRM, livrant ainsi une partie de ses archives et de ses fonds photographiques. Cette exigence vis-à-vis de la mémoire et ses multiples prises de position fragilisèrent peu à peu sa situation au sein du gouvernement devenu amnésique et corrompu. Lâché par ses « amis » politiques et par ceux-là mêmes qui lui devaient leur pouvoir et leur crédibilité, il fut démis de ses fonctions et assista, impuissant, au vol de ses archives et au pillage de son pays. Il meurt « opportunément » en 1996.
Les photos réunies pour cette exposition, unique à Madagascar, sont aujourd’hui connues sous le nom de « Fonds Charles Ravoajanahary », un fonds sommeillant depuis des années dans un coin « non visité » de sa maison. Rongées par l’humidité et les rats, elles sont un ultime témoignage du combat de cet homme et attestent de l’état d’un pays laissé à l’abandon par ses élites.
EXTRAIT Et cette honte dans laquelle la colonisation nous a versés …

La honte d'avoir du survivre comme des bêtes, la honte d'avoir assisté à la décomposition de nos sociétés, de nos corps intimes. Voici les bombardements tels que les raconte Koko Jean-Marie, bombardements visant plus à détruire le lieu de refuge qu'est la forêt qu'à toucher directement les rebelles, les acculant à une situation inhumaine : « Les avions apparurent effectivement et larguèrent des bombes sur le camp et ses environs. Les bombes tombèrent près de notre maison, dans le champ où l'on avait cultivé du riz hors saison et déracinèrent un arbre harongana sous lequel la famille du colonel Katondahy se réfugia. Il survécurent ainsi. Les bombes ne firent d'ailleurs aucune victime dans le camp. »

L'ennemi s'attaquant aux rizières poussa les rebelles à vivre effectivement comme des bêtes sauvages : « À partir de mars 1948, notre situation devint de plus en plus critique car nous ne pouvions plus riposter aux attaques de l'ennemi faute de munitions et de vigueur, nous n'avions plus de nourriture. […] »

La valeur protectrice de la forêt fut réduite à néant : de lieu de refuge, elle devint un enfer. Le scorbut atteignit les êtres, la malaria fit des ravages, la diarrhée déshydrata les corps …

Mais cette dégradaton du corps fut aussi orchestrée par l'autorité française quand des rebelles, censés protégés par leurs amulettes, furent jetés des avions pour s'écraser en plein milieu des villages. Bombes démonstratives, paraît-il … Ainsi, la bombe humaine, le corps déchiqueté, annoncent pour le rebelle la lutte sans merci engagée par son oppresseur. Il suffit d'un seul corps largué, il suffit d'une seule expédition dans ce genre pour qu'il sache que son maître ne le considère plus comme un être humain à part entière.

Le colonisé, son humanité déniée, envisage alors toutes les possibilités de sa mort, les rumeurs s'affolent, des atrocités sans nom sont inventées, rapportées. L'innomable est envisagé, entériné.

pp. 29-31
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Madagascar, 1947 » ill. de photos du Fonds Charles Ravoajanahary (2ème éd. aumentée du texte malgache), La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, Antananarivo : Tsipika, 2007
  • « Nour, 1947 », Paris : Le Serpent à plumes, 2001, 2003 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2017
Sur le site « île en île » : dossier Raharimanana

mise-à-jour : 10 avril 2020

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