Francesco Orlando

Un souvenir de Lampedusa (1962) [suivi de] À distances multiples (1996)

L'Inventaire

Paris, 1996
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Méditerranée
Un souvenir de Lampedusa [suivi de] À distances multiples / Francesco Orlando ; trad. de l'italien par Michel Balzamo. - Paris : L'Inventaire, 1996. - 107 p. ; 17 cm.
ISBN 2-910490-06-8
Francesco Orlando avait dix-neuf ans quand il fit la connaissance, en 1953, de Giuseppe Tomaso di Lampedusa. Quatre ans durant se sont tissées d'étroites et complexes relations, Lampedusa improvisant à l'attention de son cadet un cours de littérature anglaise et française où s'exprimaient ses prédilections et ses aspirations. Lampedusa qui approchait sans le savoir du terme de son existence venait d'entreprendre la rédaction du Guépard : Orlando est du petit cercle des proches conviés aux séances de lecture de l'œuvre en création — « j'ai entendu de la bouche même de Lampedusa tous les huit chapitres du Guépard » (p. 73) — et accepte de dactylographier le manuscrit à l'exception, faute de temps et « de peur d'être jugé moins serviable que servile » (p. 105), des chapitres 5 et 6.

En 1962, cinq ans après la mort de Lampedusa, Orlando ressent le besoin de fixer les temps forts d'une rencontre brève, riche et contrastée, livrant le « compte-rendu subjectif de quatre années » (p. 94) marquées par la gestation d'une œuvre romanesque majeure. En 1996, Orlando qui a « presque un an de plus que [Lampedusa] à sa mort » (p. 85) revient sur ses souvenirs, pour en éclairer et approfondir certains aspects et, peut-être, pour tempérer une excessive subjectivité de sa première approche.

De l'un à l'autre texte, et par delà plus de trente ans qui les séparent, se manifeste une vigilance qui tient à distance ce qui ne serait qu'anecdotique ou, comme l'aurait dit Lampedusa, ce qui serait trop explicite. Orlando comme Proust conteste l'enseignement de Sainte-Beuve et se refuse à tirer de la vie de l'auteur du Guépard les clés permettant d'accéder à la compréhension de l'œuvre. C'est donc ailleurs que réside l'apport de ces deux témoignages. On retiendra en particulier le large éventail de nuances que décèle Orlando quand Lampedusa lui donne lecture de son œuvre — la voix creusant avec l'écriture un écart où se révèlent toutes les potentialités d'une chatoyante polyphonie.
EXTRAITS
En un certain sens, [Le Guépard] était vraiment pour Lampedusa une attaque contre le mélodrame, ou contre les plaies du Sud, ou contre les faiblesses du Risorgimento — ces trois facettes du même mal dont il déplorait la présence dans l'histoire italienne du dernier siècle. Mais à la différence de ce qui se passait quand il parlait, les pointes polémiques et sarcastiques dans le roman n'étaient plus les seules à se détacher sur un fond de profonde réserve : la Sicile arriérée, celle du laisser-aller et de la fatuité provinciale n'occupait plus à elle seule le premier plan. A présent, Lampedusa donnait libre cours à sa sympathie attendrie pour quelques spécimens siciliens intègres et francs, les Onofrio Rotolo, les Ciccio Tumeo ; un amour ébloui et ému pour le paysage et le climat siciliens que la prose du Guépard exalte même quand elle déplore la violence nocive de la lumière, des couleurs et de la chaleur. Cette sympathie et cet amour se dissimulaient naturellement derrière la polémique et le sarcasme ; ils s'étaient déjà exprimés avec une simplicité enchanteresse dans les souvenirs d'enfance, mais j'en eus seulement la révélation avec le roman. J'insiste parce que j'y vois la preuve de la pudeur extrême avec laquelle Lampedusa aimait sa Sicile ; ce sentiment touchait d'une part à la nostalgie lyrique envers sa propre enfance, de l'autre au sens jalousement féodal de l'hérédité et de la tradition, des deux côtés, en somme, aux racines les plus profondes de sa personnalité.

Un souvenir de Lampedusa, pp. 76-77
Lecteur devenu écrivain, qu'aurait dit Lampedusa, s'il avait assisté à son propre succès, des équivoques répandues par méconnaissance de l'invention romanesque ? Aurait-il approuvé que l'on considérât le personnage de don Fabrice comme son autoportrait, même « idéalisé » ? Que l'on interprétât la tirade du prince sur le destin de la Sicile ou, pire encore, la formule de l'astuce politique de Tancrède : « Si nous voulons que tout continue, il faut d'abord que tout change », comme la pure et simple idéologie de l'auteur ? Ce sont des simplifications qui ne signifient pas seulement qu'on se fait une conception naïve de l'œuvre littéraire — péché véniel, celui-ci, pour les millions de lecteurs non professionnels du Guépard —, mais dans l'absolu — et il faut défendre Lampedusa de Sainte-Beuve, sinon de lui-même — qu'on ne sait pas lire un roman.

À distances multiples, pp. 90-91
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Ricordo di Lampedusa », Milano : All'insegna del pesce d'oro, 1963
  • « Ricordo di Lampedusa [seguito da] Da distanze diverse », Torino : Bollati Boringhieri, 1996
  • Francesco Orlando, « L'intimité et l'histoire : une lecture du Guépard », Paris : Classiques Garnier (Théorie de la littérature, 8), 2014
  • Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Le guépard » trad. de l'italien par Fanette Pézard, Paris : Seuil, 1959, 1980
  • Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Le guépard » trad. de l'italien par Jean-Paul Manganaro, Paris : Seuil, 2007
  • Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Le professeur et la sirène », Paris : Seuil, 1962, 2002
  • Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Byron », Paris : Allia, 1999
  • Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « Voyage en Europe », Paris : Seuil, 2007

mise-à-jour : 8 octobre 2019

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