Jean-Marc Regnault

Pouvanaa a Oopa, victime de la raison d'État : les documents parlent

Les Éd. de Tahiti

Papeete, 2003

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édité à Tahiti
parutions 2003
Pouvanaa a Oopa, victime de la raison d'État : les documents parlent / Jean-Marc Régnault. - Papeete : Les Éd. de Tahiti, 2003. - 164 p.
ISBN 2-907776-24-X

NOTE DE L'ÉDITEUR : Pouvanaa est né en 1895 à Huahine. Il participe à la Première Guerre mondiale. En 1940, il est l'un des principaux artisans du Ralliement à la France libre, mais il s'oppose vite à l'Administration qu'il accuse de ne pas respecter les droits des autochtones, ce qui lui vaut des peines d'emprisonnement. Il continue son combat après la guerre et il est élu député en 1949. Il fonde un puissant parti, le Rassemblement démocratique des Populations tahitiennes (RDPT). Devenu vice-président du gouvernement issu de la loi-cadre, il préconise le NON au référendum organisé par le général de Gaulle le 28 septembre 1958. Il n'est pas suivi par la population qui, en votant oui majoritairement, souhaite implicitement rester attachée à la France. Peu après, Pouvanaa est arrêté sous le motif qu'il aurait ordonné d'incendier Papeete. Si cette accusation n'est pas retenue à l'issue du procès, il est néanmoins condamné à la prison et à 15 années d'exil pour « complicité de destruction d'édifices et détention d'armes et de munitions sans autorisation ». Amnistié en 1968, il rentre à Tahiti et devient sénateur de 1971 jusqu'à sa mort, en 1977. Il n'a cessé de proclamer son innocence pour les faits de 1958 et combattu pour obtenir la révision de son procès. Les diverses tentatives pour y parvenir, de son vivant comme après son décès, sont restées vaines. Les Polynésiens l'ont surnommé Te Metua, c'est-à-dire une sorte de père spirituel de la nation tahitienne.

Ce qui précède est bien connu de tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Polynésie. Mais Jean-Marc Régnault (qui a déjà publié en 1996 un livre sur Pouvanaa : « Te Metua : l'échec d'un nationalisme tahitien ») vient d'avoir eu accès à des documents jusque-là non communicables et qui jettent une lumière nouvelle (ou qui apportent la preuve de ce que l'on supposait généralement) à la fois sur la détermination politique de Pouvanaa dont on ne mesurait ni l'ancienneté, ni la force, et sur l'acharnement dont ses adversaires ont fait preuve.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la France prétend, dans le préambule de la Constitution de 1946, « écarter tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire » et elle promet de « conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ». Or, les autorités de l'Etat ne sont pas décidées à donner à ces promesses la dimension qu'elles auraient pu avoir. Dans le contexte océanien, c'est particulièrement grave. En effet, tandis que la Commission du Pacifique Sud voulait faire consacrer le principe du self government des territoires autonomes, la France s'y oppose farouchement. Le prétexte avancé est que les Tahitiens n'ont pas le degré de culture suffisant pour leur permettre de gérer leurs propres affaires. Il ne faut pas oublier ce contexte lorsqu'on examine le combat de Pouvanaa, avec ses erreurs, ses exagérations ou maladresses. Avec ses mots à lui, avec son mode de raisonnement très particulier — que les Polynésiens, eux, comprennent bien — Pouvanaa veut éveiller la conscience politique de ses compatriotes et leur demande de refuser de continuer à être étrangers sur leur propre terre. Il voudrait que le Tahitien bénéficie des quelques « richesses » locales (phosphates, coprah, nacre, vanille) qui, de fait, ne profitent qu'à quelques familles. Il voudrait que quelques gros importateurs ne s'enrichissent pas aux dépens des populations.

Le livre de Jean-Marc Regnault met en valeur plusieurs aspects :

  1. Il retrace la carrière politique de Pouvanaa, […].
  2. Il montre que les puissants intérêts (bourgeoisie locale, hauts fonctionnaires) que combattaient Pouvanaa voulaient trouver le moyen de se débarrasser de lui. Ses adversaires ne supportent pas que la loi-cadre Defferre appliquée en 1957 donne le « pouvoir » à Pouvanaa. Il est vrai que le Metua est davantage fait pour haranguer les foules que pour gérer l'administration. Et quand il demande aux Polynésiens de voter NON au référendum du 28 septembre 1958, ses adversaires paniquent : et si Pouvanaa réussissait à entraîner les Polynésiens dans l'indépendance ?
  3. Il est clair que Pouvanaa fut poussé à la faute. S'il n'en a pas commis, il a fallu en fabriquer. Qu'il ait donné ou non l'ordre d'incendier la ville (et s'il l'a fait, c'est avec le langage local, toujours empreint de symboles) importe peu. Il faut même faire taire le ministre de la Justice de l'époque pour lequel le dossier d'accusation est vide. Pouvanaa est arrêté le 11 octobre 1958 et désormais, il s'agit de tout mettre en œuvre pour que sa condamnation soit exemplaire. Le gouverneur est chargé de faire oublier aux Polynésiens « l'ère Pouvanaa ». […]
  4. Jean-Marc Regnault — s'appuyant sur ses publications antérieures — retient dans son livre que l'affaire Pouvanaa peut aussi se lire dans l'optique de préparer la Polynésie à recevoir le Centre d'Expérimention du Pacifique. Il ne fallait donc ni d'un leader susceptible de galvaniser les populations contre les essais, ni d'une autonomie qui aurait pu donner des appuis institutionnels à cette contestation. » […]
  5. Ce livre permettra-t-il d'engager un nouveau recours auprès de la Cour de Cassation pour obtenir la reconnaissance de l'innocence de Pouvanaa ? L'auteur est un historien et il laisse le soin aux juristes d'utiliser les documents qu'il a livrés au public, leur indique les documents qu'il faudrait encore produire pour que tout doute soit levé.

Enfin, l'auteur estime que, maintenant, c'est à l'Etat de décider s'il accepte ou non de révéler ce qui, jusqu'à présent est resté caché. En Nouvelle-Calédonie, il a accepté de reconnaître « les ombres » de la période coloniale. Cet aveu que l'on peut toujours critiquer (certains s'en moquent même) a ramené la paix chez les voisins du Pacifique. Reconnaître qu'en Polynésie la raison d'Etat a frappé celui que les Polynésiens, dans leur ensemble, considèrent aujourd'hui comme le « père » de la revendication autonomiste voire indépendantiste, faciliterait certainement les rapports futurs entre l'Etat et la nouvelle collectivité d'outre-mer.

Pour l'auteur, comme il l'écrit dans l'introduction, « l'Histoire est aussi une thérapie, ce qui exclut toute perspective de récupération par telle ou telle force politique. En Polynésie française, il est nécessaire de ne rien laisser dans l'ombre. Les conflits se nourrissent de rumeurs, de silences gênés. A partir du moment où l'on sait, il est alors possible d'expliquer sereinement pourquoi, à une époque donnée, les hommes ont pu se comporter de telle ou telle façon. Point n'est besoin de les excuser forcément, du moins les comprendra-t-on mieux ».

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Jean-Marc Regnault, « Te Metua, l'échec d'un nationalisme tahitien », Papeete, 1996
  • Jean-Marc Regnault, « Pouvana'a et De Gaulle : la candeur et la grandeur », Papeete, 2009
  • Jean-Marc Regnault et Catherine Vannier, « Le metua et le général, un combat inégal : un complot colonial en Polynésie française », Moorea, 2009

mise-à-jour : 21 août 2017

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